Article Agriculture biologique Alternatives

La relocalisation de l’alimentation n’est pas chose facile !

Michel Bernard

Si la France a de quoi nourrir ses habitants en bio, en optant pour un régime peu carné, la relocalisation de l’alimentation au niveau de chaque ville relève presque de la mission impossible.

BIEN SÛR, IL FAUT CHERCHER À RELOCALISER L’ALIMENTATION. MAIS EST-IL POSSIBLE DE LE FAIRE totalement dans la situation actuelle ? Dans les années 1990, un centre d’expérimentation agricole avait vu le jour près de Montpellier à l’initiative de
personnes comme Pierre Rabhi, Christophe Beau… Une expérience de « module optimisé d’installation agricole » a été menée pendant cinq ans avec une famille (2 adultes, 2 enfants). Il s’agissait de vérifier s’il était possible de vivre en autonomie alimentaire sur un hectare ! L’expérience a été menée sur un terrain assez aride et peu productif
(garrigues). Cet hectare se répartissait ainsi :

  • > 200 m2 pour les légumes,
  • > environ 1000 m2 de verger (des cerisiers et pistachiers sauvages greffés),
  • > environ 4000 m2 pour les grandes cultures (céréales),
  • > environ 5000 m2 pour deux chèvres (lait, fromage + 2 chevreaux par an).
    L’expérience a montré que les céréales étaient en quantité insuffisante (mais la terre de départ était pauvre et les rendements de 5 quintaux à l’hectare seulement). Une des contraintes était que le sol devait s’enrichir en matières organiques (par
    compostage et apport de fumier).
    On constate que pour assurer seulement une faible quantité de lait et de fromages, cela prend la moitié de la surface. La viande a effectivement une « empreinte écologique » énorme.
    Si on veut plus de viande, pour élever un mouton, il faut de l’ordre de 5000 m2. Pour élever une vache (sans importation de soja, en zone humide comme le Vercors ou le Jura), il faut de l’ordre de 10 000 m2. Ces surfaces augmentent rapidement en zone sèche.
Potentiel d’autonomie des dix plus grandes villes de France

En supposant que l’expérience s’enrichisse et que l’on puisse arriver effectivement à l’autonomie alimentaire sur un hectare pour 4 personnes, on peut comparer la surface nécessaire à une population et la surface actuellement disponible. Voilà ce que cela donne dans les dix plus grandes villes de France.
Le pourcentage d’autonomie maximal est théorique. Il supposerait que l’on arrive à cultiver toutes les surfaces : habitations, rues, usines… avec un rendement agricole correct ! Certains rêvent alors de faire des cultures sur plusieurs étages… c’est oublier que c’est le soleil qui fait pousser les plantes et qu’il ne fournira l’énergie que pour un seul étage.
On peut toutefois penser la ville avec des immeubles dont les façades sud sont des serres, les toits sont végétalisés… et on placera les voies de circulation au nord des bâtiments dans les zones d’ombre. Une disposition qui, par exemple, a déjà été recherchée dans le quartier Vauban de Fribourg en Allemagne.
Les groupes de villes en transition ont fait l’hypothèse que la situation est moins mauvaise lorsque l’on va vers des villes plus petites. Les exemples pris ci-après montrent que cela n’est pas automatique.

Des villes moins peuplées, mais pas forcément moins denses

Une commune comme Montargis, qui dispose d’une petite surface, ne s’en sort pas mieux que Marseille. C’est Arles qui dispose de la plus grande autonomie. Cette commune n’a pas été choisie au hasard : c’est l’une des plus grandes de France car
elle englobe la quasi-totalité de la Camargue. Bien qu’ayant 52 000 habitants, Arles pourrait sans doute assurer assez aisément son autonomie alimentaire. Elle est déjà exportatrice de riz. Elle a toutefois un point faible : en cas de montée des eaux, la Camargue serait très rapidement noyée.

Faut-il densifier les villes ?

Actuellement, pour des raisons d’économie d’énergie, pour limiter le coût des réseaux (eau, gaz, téléphonie…), les autorités visent une plus grande densité des villes, position soutenue par les écologistes. Certes, il faut, pour ces raisons, concentrer les habitations, mais celles-ci doivent disposer d’une importante couronne verte si l’on veut pouvoir manger localement.
Les rues occupant en moyenne 30 % de la surface d’un centre-ville, même en supprimant les voitures (et en conservant bus et vélos), pour assurer l’autonomie alimentaire, il serait sans doute raisonnable d’atteindre dans la colonne de droite un taux de 300 % (ce qui signifie qu’un tiers de la surface serait « agricole »). Pour obtenir un tel taux, on constate qu’il ne faut pas raisonner au seul niveau des communes, mais y inclure les campagnes environnantes.
En développant ce principe, Montargis se détachera très nettement de Marseille car avant de trouver des surfaces vertes autour de la ville méditerranéenne, il faudra d’abord sortir de l’agglomération.
Pour Paris, la situation reste quasiment insoluble : l’Ile-de-France compte 11,7 millions d’habitants, ce qui nécessiterait 3 millions d’hectares, alors que la région ne fait que 1,2 million d’hectares. Le « local » parisien débordera donc sur les régions voisines… peut-être jusqu’à Montargis !
Au niveau globalement de la France, pour nourrir 65 millions d’habitants, il faut 16 millions d’hectares, nous en avons 67,5 millions… dont 29 millions classés en SAU, Surface agricole utile.
Nous avons donc bien le potentiel pour être autonomes au niveau du pays (en étant presque végétariens et en bio, hypothèse de départ). Si la relocalisation devient un impératif (par manque de moyens de transport par exemple), alors il faut envisager une meilleure répartition des villes et des villages sur l’ensemble du territoire. Pas facile à mettre en œuvre !

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