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Quelle Europe voulons-nous ?

Michèle Rivasi, Raoul-Marc Jennar

Michèle Rivasi, pour Europe-Ecologie et de Raoul-Marc Jennar, pour le Nouveau parti anticapitaliste, répondent ici à quelques questions.


En ces temps d’élections...

Les lectrices et les lecteurs de Silence savent que notre attitude en période électorale a toujours été assez réservé, Cependant, chaque fois, il se trouve des listes, ou encore des candidatures, pouvant appuyer — en principe — nos démarches écologistes au sein des institutions. Il en va de même pour les prochaines élections européennes. C’est pour cela que nous aurions souhaité organiser un débat entre plusieurs de ces candidat-e-s, mais cela c’est avéré difficile… Néamoins nous avons décidé d’envoyer un certain nombre de questions à Michèle Rivasi, pour Europe-Ecologie, et à Raoul-Marc Jennar, pour le Nouveau parti anticapitaliste. Vous trouverez ici leurs réponses, qui a défaut de présenter la spontanéité d’une interview directe, nous renseignent sur leur démarche...

Réponses de Michèle Rivasi

Quel a été votre parcours politique pour aujourd’hui mener une liste aux élections européennes ?

Après l’accident de Tchernobyl et le mensonge d’État qui voulait nous faire croire que le nuage s’était arrêté aux frontières nationales, je me suis engagée fortement dans l’action associative en fondant la CRIIRAD, laboratoire indépendant qui fait aujourd’hui référence sur le nucléaire. Plus récemment et suite aux nombreuses interrogations des usagers actifs ou passifs, j’ai crée le CRIREEM.
Je crois profondément à l’utilité de l’interpellation citoyenne et des contre-pouvoirs. Pour pouvoir changer les choses, il faut des femmes et des hommes de conviction en politique pour porter une parole libre et indépendante des lobbys qui ont tant de poids au sein même des partis traditionnels. En 1997, je suis rentrée à l’Assemblée nationale et j’ai fait l’expérience des conservatismes et des résistances, y compris à gauche. Vous n’imaginez pas combien l’ensemble du spectre politique protège certains intérêts privés ! Sur le nucléaire, comme sur tant d’autres sujets, les antennes de téléphonie mobile, la chimie, etc., je suis convaincue que seule l’Europe peut faire bouger ces conservatismes. C’est la bonne échelle pour mettre fin aux petits arrangements, c’est la bonne échelle pour inventer les protections de demain et entamer la transformation écologique et sociale de nos modes de vie, de production et de consommation...

Quelle était votre position sur le Traité constitutionnel européen et pourquoi ?

Nous avons eu, il y a 4 ans, un débat fructueux en France sur le projet de constitution européenne. Je le dis comme je le pense, ce débat a été fort et fructueux : il est rare de voir autant de citoyens s’emparer d’un texte d’une telle importance... Le débat n’est plus de savoir si nous devons l’adopter ou non : les citoyens se sont prononcés contre et ce texte est aujourd’hui sans lendemain. Le débat, aujourd’hui, c’est quelle Europe nous voulons construire ! Europe Écologie rassemble les écologistes, des écologistes qui, sur le TCE, ont eu des positions différentes. Certains trouvaient urgent d’accepter les nouveaux pouvoirs donnés au Parlement face à la Commission, d’autres trouvaient urgent de rejeter les politiques libérales de la partie III. Chacun détenait une part de la vérité. Nous devons mener de front ces deux combats : démocratiser radicalement l’Europe et donc donner du pouvoir à la seule instance élue par les citoyens, le Parlement européen, et sortir du système ultra-libéral, gaspilleur et inégalitaire.

Malgré un référendum négatif, les députés ont adopté ce traité ; que pensez-vous de la démocratie représentative ?

Le TCE n’a pas été adopté, plusieurs pays l’ont refusé et il n’est donc plus d’actualité ! Mais la contrepartie, c’est que nous continuons à être régis par le traité de Nice de 2001 et cette situation est catastrophique. A l’époque, seuls les Verts ont voté contre ! Imaginez une seule seconde que le traité de Nice, c’est toute la partie III, libérale, du TCE, avec en prime tout le pouvoir aux gouvernements et à la Commission. Aujourd’hui, les écologistes européens demandent qu’une Constituante, élue par les citoyens, élabore un nouveau projet qui nous permette de sortir de Nice, un projet qui se concentrerait sur les institutions et ne se mêlerait pas des politiques publiques, contrairement au TCE. Dans une démocratie, ce sont les représentants des citoyens, le Parlement, qui choisissent les politiques publiques, pas la Constitution ! La Constitution que nous souhaitons doit laisser les citoyens choisir les politiques, les majorités qu’ils souhaitent. Elle doit aussi leur permettre de prendre toute leur place dans le débat, par le droit de saisir le Parlement ou par le référendum d’initiative citoyenne...

Les députés européens prennent des décisions en étant encore plus éloignés de la population que les députés nationaux ; comment peut-on améliorer le fonctionnement démocratique de l’Europe ?

Si je suis élue, je m’engage personnellement à me consacrer à plein temps au mandat de députée européenne. Je crois que c’est une première voie : quand on cumule les fonctions, on n’exerce aucune d’elles correctement. Et puis, un mandat politique, ce n’est pas seulement siéger dans les assemblées, c’est aussi être en contact permanent avec les associations, les syndicalistes, les citoyens. C’est pourquoi non seulement, je mettrai en place une permanence en région afin de rester à l’écoute et à disposition, mais je ferai une fois par an un compte-rendu de mandat public dans chaque département pour prendre le temps de l’échange, de la critique, dans chacun des nos territoires.

Qu’apportez-vous comme soutien à des campagnes comme l’idée d’une Europe non-violente, écologique, qui respecte les minorités, qui favorise la bio plutôt que les OGM, les démarches alternatives aux paradis fiscaux ?

Sur l’agriculture et l’alimentation, je crois que vous pouvez faire confiance à José Bové pour défendre la conversion vers l’agriculture bio et une Europe sans OGM, ni dans les champs ni dans les assiettes. Sur les paradis fiscaux, qui mieux qu’Eva Joly, également sur notre liste, juge d’instruction qui se bat, dans le monde entier, contre la corruption financière, peut convaincre et gagner au parlement ? Vous posez une bonne question : le seul projet qui apporte une réponse globale et cohérente, c’est le contrat écologiste que propose Europe Ecologie, avec l’ensemble des Verts européens. Lisez-le sur notre site Internet ! Nos propositions sont concrètes, ambitieuses et réalistes. Concrètes, parce que le groupe Verts au parlement européen a prouvé sa détermination et sa cohérence. Ambitieuses, parce qu’il ne s’agit pas de verdir le système libéral mais de transformer nos modes de vie. Réalistes enfin, parce que l’on ne peut plus attendre et qu’il faut agir maintenant ensemble.

Par rapport aux crises écologiques, sociales et économiques, comment vous positionnez-vous autour de la réflexion menée autour du thème de la décroissance ?

La décroissance, c’est un mot « obus », comme le dit Paul Ariès lui-même. Je lui préfère les termes de sobriété, partage, convivialité. La crise économique, sociale, climatique, énergétique, prouve l’absurdité du modèle libéral et productiviste dans lequel nous vivons. Ce modèle, il produit gaspillage des ressources naturelles, inégalités sociales et violences symboliques. Il nous faut changer en profondeur notre logiciel de pensée et engager une transformation des modes de vie, de production et de consommation. Cette transformation, elle passe par une décroissance des gaspillages, des déplacements, elle passe aussi par un meilleur partage des richesses et des ressources en Europe et entre le Nord et le Sud. Mais le projet que nous portons, c’est aussi et surtout le dépassement d’une approche purement quantitative et économique, une approche qui se borne au « plus » et au « moins ». L’enjeu, ce n’est pas de se centrer, comme les partis traditionnels, sur le PIB comme seul indicateur ; l’enjeu, c’est de reparler du mieux vivre ensemble... Sobriété, partage, convivialité !

Si vous êtes élu-e, quelles seront vos dossiers prioritaires ?

Nous avons tous nos thèmes de prédilection, les miens sont connus. Le nucléaire évidemment : il nous faut casser les incestes entre l’Etat et le lobby nucléaire et remplacer le traité Euratom par une Communauté européenne des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Les ondes électromagnétiques, et plus particulièrement les antennes de téléphonie mobile : alors qu’en France, l’Etat protège les intérêts de Bouygues et compagnie, l’Autriche a déjà appliqué des règlementations de 0,6 V/m. Il nous faut une directive européenne contraignante pour protéger la santé de tous les Européens ! Mais l’enjeu de cette élection, ce n’est pas un dossier ou tel autre et j’espère bien que de nombreux écologistes seront élus, ici et partout en Europe. Un groupe écologiste fort au Parlement européen, c’est l’assurance de sortir des mesurettes et de mettre l’Europe au service des citoyens : transformation écologique et solidaire de l’économie, revenu minimum d’existence garanti et revenu maximum autorisé, harmonisation fiscale, partage du temps de travail, 100% d’énergies renouvelables, 0% d’OGM...

Réponses de Raoul-Marc Jennar

Quel a été votre parcours politique pour aujourd’hui mener une liste aux élections européennes ?

Dans les années soixante, il était naturel de s’engager. Ma première démarche fut de choisir la non-violence pour dire ma révolte contre les injustices d’une société fondée sur le profit. Je suis objecteur de conscience. Je suis devenu naturellement un militant pour les droits humains individuels et collectifs. Pour la dépénalisation de l’avortement. En 1972, je lis le rapport intitulé « Halte à la croissance ? ». Il souligne que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables. Il conforte ma grande sensibilité au respect du vivant, de la biodiversité, des écosystèmes.
J’ai travaillé au Cambodge où j’ai observé, dans le processus de paix, le cynisme des gouvernements occidentaux et leur mépris pour les peuples. J’ai découvert un visage de l’Union européenne qui contrastait avec la rhétorique officielle sur une Europe « humaniste, solidaire et généreuse ». Rentré en Europe, j’ai travaillé comme chercheur sur les dossiers de l’OMC pour un réseau d’ONG de développement, où j’ai trouvé confirmation que « l’Europe ne fait pas ce qu’elle dit, elle fait ce qu’elle ne dit pas » (Pierre Bourdieu). J’ai écrit des livres sur l’Europe. Je suis arrivé à la conviction qu’on ne peut être écologiste sans être anticapitaliste et qu’on ne peut être anticapitaliste sans être écologiste. J’ai voulu donner un prolongement politique à mes actions de militant associatif et j’ai saisi l’opportunité offerte par la décision de la LCR de se dissoudre pour créer un nouveau parti anticapitaliste, qui accorde une égale importance à la question sociale et à la question écologique. J’ai accepté de mener la liste du NPA.

Quel était votre position sur le Traité constitutionnel européen et pourquoi ?

J’ai fait campagne pour le « non » au TCE, parce que je suis hostile à une alliance des Etats au service des actionnaires. Je veux une union des peuples au service des peuples. Il n’y a pas d’Europe sociale. L’UE n’est écologique que dans la mesure où cela ne contrarie pas l’agro-business et les entreprises chimiques. L’UE fait passer le profit des multinationales pharmaceutiques avant la santé. Je suis hostile à un système qui organise la concurrence de tous contre tous, qui démantèle tous les acquis sociaux. Parce que je suis fédéraliste, je veux des institutions européennes qui s’occupent exclusivement de ce qui peut être mieux fait à l’échelon européen. L’UE, telle qu’elle est constituée, vide le suffrage universel de ses effets : les citoyens n’ont aucune possibilité de changer la Commission européenne et les politiques qu’elle initie avec le soutien des gouvernements.

Malgré un référendum négatif, les députés ont adopté ce traité ; que pensez-vous de la démocratie représentative ?

La démocratie représentative est à bout de souffle. Le principe de la délégation a été systématisé. Le premier transfert de souveraineté, le traité de Rome de 1957, n’a pas été soumis à référendum. Il confiait à la Commission européenne le monopole de l’initiative, c’est-à-dire pour une institution qui n’est démocratique que par délégation, le droit d’ignorer les attentes exprimées par des institutions issues du suffrage universel (parlements, gouvernements). Ce qu’elle a fait plusieurs fois à propos des services publics.

Les députés européens prennent des décisions en étant encore plus éloignés de la population que les députés nationaux ; comment peut-on améliorer le fonctionnement démocratique de l’Europe ?

Il faut renforcer les contre-pouvoirs et en créer de nouveaux. D’une part, il faut accroître les droits des citoyens : accès à l’information, droit de recours devant des juridictions, référendum d’initiative populaire. Il faut imposer un statut de l’élu qui limite le nombre de mandats, qui interdise les cumuls et qui organise une procédure de révocation par les citoyens dans des cas précis et selon des modalités claires. Il faut empêcher que l’engagement politique se confonde avec une carrière professionnelle.
D’autre part, il faut un Parlement européen qui soit un authentique parlement, doté du pouvoir de proposer les textes législatifs, de voter recettes et dépenses et disposant au moins des pouvoirs de contrôle du Congrès US, avec une forte capacité d’investigation. Il faut chasser les lobbies du Parlement européen et sanctionner sévèrement ceux qui, à la Commission, se laissent soudoyer par les représentants du monde des affaires et de la finance.

Qu’apporterez-vous comme soutien à des campagnes comme l’idée d’une Europe non-violente, écologique, qui respecte les minorités, qui favorise la bio plutôt que les OGM, le développement de démarches alternatives plutôt que les paradis fiscaux ?

Le NPA est pour la sortie du nucléaire et la priorité aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables, et pour une agriculture de proximité, sans pesticides ni OGM, qui rémunère correctement ceux qui en vivent, qui nourrisse sainement la population et qui soit respectueuse de la nature. Nous voulons une véritable suppression du secret bancaire et des paradis fiscaux, un contrôle sur les mouvements de capitaux. Pas la farce du G20.
Au NPA, nous sommes pour une Europe très différente : une Europe multiculturelle, qui consacre le droit de résidence, qui n’utilise pas le libre-échange comme nouveau moyen de domination et d’exploitation ; une Europe en faveur d’une mondialisation qui soumette les entreprises privées à des règles commerciales, sociales et écologiques, qui défende la souveraineté des peuples face aux multinationales, en particulier dans le domaine alimentaire ; une Europe de paix et de solidarité qui renonce aux alliances militaires et qui abandonne enfin toutes les formes de colonialisme et d’impérialisme. Le NPA est pour une Europe aux côtés du peuple palestinien, dont les droits fondamentaux sont niés, y compris celui de résister à l’occupation, à la colonisation, à l’humiliation. Nous sommes pour la suspension de l’accord de coopération avec Israël et pour le boycott des produits israéliens. Avec le NPA, je soutiendrai les campagnes et les propositions qui iront dans ce sens.

Par rapport aux crises écologiques, sociales et économiques, comment vous positionnez-vous autour de la réflexion menée autour du thème de la décroissance ?

La crise confirme qu’il n’y a aucune solution durable à la question sociale et à la question écologique dans le cadre du capitalisme. Je suis en faveur d’un modèle qui remplace la valeur d’échange par la valeur d’usage, qui satisfasse les besoins sociaux (logement, éducation, santé, culture, transport, accès à l’eau et à l’énergie, travail) de manière écologique. L’empreinte écologique doit remplacer le PIB. Je suis pour la croissance et la gratuité des écoles publiques, des hôpitaux publics, des transports publics, des établissements culturels publics. Je suis pour un débat public sur les finalités, le contenu et les modalités de la production. Je suis pour une planification décidée démocratiquement de la reconversion des activités nocives pour les humains et la planète. Le bien-être des humains doit être compatible avec le respect de la biodiversité et des écosystèmes. Mais cela doit se faire de manière démocratique.

Si vous êtes élu-e, quelles seront vos dossiers prioritaires ?

Si je suis élu, je ne me laisserai pas enfermer dans les pièges de la bienséance européenne. Je serai au PE pour hurler mon hostilité à cette Europe capitaliste, pour dénoncer ceux qui en sont les complices, pour lier la mise en cause des politiques européennes avec les luttes sociales et écologiques. Sans la moindre complaisance. Et avancer nos alternatives. Je veux être un grain de sable parmi d’autres pour gripper cette machine monstrueuse. Je veux être, avec mes camarades, la voix de ceux qu’on n’entend ni à Bruxelles, ni à Strasbourg, la voix de celles et de ceux qui souffrent de cette Europe des actionnaires, des pollueurs et des empoisonneurs.

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