Dossier Environnement Transports Autres

Avions : le souhaitable retour sur terre

Michel Bernard

La flambée des prix du pétrole en 2008 était un avertissement : nous ne sommes pas loin du pic de production. Et il va falloir commencer à changer nos comportements, en particulier au niveau de l’avion.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut quand même rappeler que c’est un moyen de transport pour les plus privilégiés de la planète. 36 % des avions qui décollent dans le monde le font depuis le territoire des Etats-Unis ! 70 % décollent de l’ensemble Amérique du Nord-Europe-Japon/Corée du Sud. Seulement 3 % décollent d’Afrique (1).

Voyages locaux plutôt que low-cost

Dans notre numéro 324, nous avons fait un dossier « Voyages au pays de chez soi » où nous indiquions qu’il est possible de se dépayser de manière moins coûteuse et polluante qu’en faisant un voyage lointain. En changeant sa vitesse de déplacement, en choisissant la marche ou le vélo, on change la dimension du voyage. Vous pouvez vous éloigner de chez vous en commençant par un trajet en train (avec un train de nuit, vous pouvez traverser la moitié de l’Europe). Puis vous vous déplacerez lentement (10 km par jour à pied, 25 km en vélo), découvrant beaucoup plus de détails qu’en volant à 10 000 m de haut.
Et pour voir d’autres cultures, sans les détruire, vous pouvez aussi ouvrir votre porte aux immigrés présents ici, plutôt que d’aller visiter leur pays d’origine.

L’empreinte des avions

Mais où est le problème, puisque, selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), l’avion a une consommation par passager inférieure à celle d’une voiture ? L’Airbus 380 et le Boïng Dreaminer annoncent des consommations de 3 litres aux 100 km par passager. Des chiffres trompeurs.

Pluie de kérosène

Pour des raisons de sécurité, un avion ne peut se poser que s’il pèse moins d’un poids préétabli. En cas de ré-atterrissage rapide, ou lorsque les vents sont trop favorables, il peut rester d’importantes quantités de carburant dans les réservoirs. Seul moyen de s’alléger : larguer du kérosène. Sur ce point, la législation est floue : le largage doit se faire à plus de 2000 m, à l’écart des zones habitées. Le ministère de l’Equipement annonce moins de dix cas par an en France. Les autorités suisses parlent de cinq cas par an.
Difficile de savoir ce qu’il en est. Mais des habitants des environs d’Orly et de Roissy, en région parisienne, se plaignent d’avoir trouvé une suie déposée sur les végétaux et les maisons. L’odeur est parfois perceptible, ce qui indique alors une forte concentration.
Cette pollution diffuse, sans doute pas inoffensive, contribue à la pollution urbaine.

D’abord, si, dans une voiture urbaine, on ne compte effectivement que 1, 1 passager en moyenne, plus la distance augmente, plus le remplissage est important. A quatre dans une voiture familiale, la consommation par passager n’est que de 1, 5 litre pour 100 km. Dans un bus, c’est encore bien moins : moins d’un litre aux cent en moyenne (2). Le train, — même rapide — consomme encore moins pour chaque passager.
Ensuite, la consommation est annoncée par siège et non par personne : tous les avions ne sont pas remplis lorsqu’ils volent (3). Et elle est calculée sur un vol stationnaire… alors que l’avion consomme beaucoup plus au décollage, un décollage qui peut représenter une part importante du voyage pour les trajets de courte distance (4).

Co2lonialisme

Comment avoir bonne conscience en prenant l’avion ? En payant un léger supplément pour financer une « compensation carbone » ? Comme nous l’avons déjà expliqué dans un récent article (« CO2lionalisme », n°361), ce système ne fonctionne ni dans le temps (en plantant des arbres aujourd’hui, on refixera le CO2 dégagé dans combien de temps ?) ni dans l’espace (les arbres ne sont pas plantés dans votre salon, mais sur des terrains des pays du Sud qui en ont l’usage d’abord pour leurs propres besoins).

Enfin, l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre ne se limite pas à la consommation de kérosène. Les spécialistes du climat, malgré encore bien des incertitudes, estiment que les traînées de condensation que l’on voit derrière les avions ont un impact sur le réchauffement : elles seraient entre 1 et 4 fois plus graves que la combustion du carburant, car elles forment une sorte de « couvercle » empêchant la chaleur de la planète de s’échapper dans l’espace ; de plus, cela modifie la condensation de l’eau dans les nuages (5).
Résultat : les avions seraient responsables, selon les sources, de 4 à 9 % du total des impacts humains sur le climat, une estimation qui monte à 5 à 12 % pour l’Union européenne (6).

L’incroyable coût des voyages

Depuis des années, le coût des voyages en avion ne fait que diminuer. Si cela s’explique effectivement par des avions plus économes en carburant, les tarifs baissent également par la biais de méthodes discutables… et illégales.
Arguant qu’une ligne régulière est un apport économique local, les compagnies cherchent de plus en plus à être financées par de l’argent public pour ouvrir de nouvelles liaisons. RyanAir ou Easyjet négocieraient ainsi des aides de 200 000 € à un million d’euros par an pour chaque nouvelle ligne. La Commission européenne est intervenue pour contrer ce phénomène (au nom du libre marché !)… mais les procédures sont longues. La Cour des comptes, en France, mène aussi l’enquête. Elle s’interroge également sur le fait que les aéroports sont maintenant entretenus par l’argent public alors que, naguère, chaque avion payait une taxe d’atterrissage proportionnelle à son poids (7). De nombreux procès sont en instruction.
Les compagnies low-cost jouent également sur les frais de personnel. Les employés sont réduits au minimum et leurs conditions de travail sont dévalorisées. Selon l’European Cockpit Association, qui regroupe les pilotes, chez RyanAir, les salaires sont de 28 % inférieurs à la moyenne, pour un temps de travail 25 % supérieur à la moyenne.

Le poids écologique des sommets citoyens

Environ 3 000 Français ont participé au Forum social mondial de Porto Alegre en 2003. Cela laisse supposer, pour l’ensemble de l’Europe, environ 15 000 participants. Tous ont évidemment pris l’avion pour se pencher au chevet de la planète. Quand on connaît le poids écologique de ce mode de transport, nous devrions nous interroger sur d’autres méthodes pour « penser globalement ».

Les conditions de vol pour les passagers sont pour le moins drastiques : sièges serrés, pas de nourriture, surtaxe pour les bagages (parfois aussi chère que le billet).
Bref, les prix bas sont un trompe-l’œil qui, malheureusement, fonctionne : la quantité de passagers a connu une croissance importante : entre 5 et 6 % par an depuis une vingtaine d’années. En 2007, il y a eu, au niveau mondial, 2, 26 milliards de voyageurs (+ 7,6 % par rapport à 2006) et 41 millions de tonnes de frêt (8).
Même si l’on observe un fléchissement en ce début 2009 du fait de la crise (9), la multiplication des transports aériens est une catastrophe écologique.

Pistes d’atterrissage

Il faut espérer que l’Union européenne mette fin au système des financements publics. Cela fera doubler ou tripler le prix des billets et provoquera sans doute la fermeture de nombreuses lignes jugées alors non rentables.
Il faut espérer aussi que la révision du protocole de Kyoto à Copenhague, fin 2009, se penche enfin sur la question des avions et prenne en compte les vrais chiffres de ses conséquences sur le climat.
Il faut espérer encore que la question des avions militaires émerge.
Cela donnera sans doute un coup de frein.

Voyager autrement

Dans son livre Nuages, paru en 2005, Gilles Clément, le jardinier planétaire, raconte son voyage entre Hambourg (Allemagne) et Valparaiso (Chili) en bateau. Il a fait le choix de ne pas prendre l’avion et a mis un mois pour arriver à destination.
Invité à découvrir une entreprise bio au Cameroun, j’ai moi-même cherché un moyen d’y aller sans avion. J’ai trouvé la possibilité d’embarquer sur un bananier au départ d’Anvers… mais l’aller dure alors 12 jours.
Je suis allé à Marrakech, il y a peu, en prenant le train jusqu’à Sète, puis le bateau (36 h) jusqu’à Tanger puis de nouveau le train… Total : 48 h d’un voyage fort agréable, ayant donné lieu à de nombreuses et riches rencontres.
Il est toujours possible de faire Le Havre-New-York en cargo. Cela dure environ une semaine… mais le coût est d’environ 100 € la journée.
On peut donc aller loin, si on y met le temps et bien sûr, plus d’argent que le low-cost actuel.
Mais c’est peut-être le prix à payer pour sauver la planète.

Du côté des citoyens, il faudrait informer les gens sur les conséquences négatives des voyages par avion de courte durée et/ou de courtes distances.
Il faudrait s’opposer à toute extension des aéroports existants.
Il va falloir également surveiller la question des agrocarburants, car les compagnies aériennes cherchent activement des alternatives au kérosène dont le prix peut rapidement s’envoler.
Il faudrait que la question du tourisme solidaire et éthique se penche sur la question et s’oriente vers une approche plus écologique, c’est-à-dire sans avion.
Il faudrait redécouvrir que le dépaysement commence au coin de la rue et non pas à l’autre bout du monde.
Il serait souhaitable que le tourisme par avion disparaisse (35 % des vols, voir encart). L’avion ne devrait rester que pour les rares usages où il est indispensable… (10)

Michel Bernard

(1) Banque mondiale, Indicateurs de développement dans le monde, éd. 2005. Après les Etats-Unis, on trouve le Canada (4, 9 % des décollages), la Chine (4, 5 %), le Royaume-Uni (4, 2 %), l’Allemagne (4%), la France (3, 3%), le Japon (3%), l’Australie (2, 5 %), l’Espagne (2, 4 %), le Brésil (2, 3%)… Les chiffres datent de 2003. Depuis lors, on peut penser que la Chine est passée en deuxième position et que l’Inde (1, 2 %) a plus que doublé ses vols, se plaçant au niveau de l’Espagne.
(2) Source : Ecocomparateur de l’ADEME.
(3) Selon l’IATA, en 2007, le taux d’occupation moyen au niveau mondial était de 77 % en personnes et 66 % en poids (les enfants occupent une place mais pèsent peu).
(4) Pour un vol qui dure moins d’une heure (Lyon-Bordeaux, Paris-Londres par exemple), l’avion ne fait que monter et redescendre.
(5) Après les attentats du 11 septembre 2001, les avions ont été interdits de vol pendant cinq jours. Le ciel au-dessus des villes a été d’un bleu rarement observé auparavant.
(6) Compilation faite par le Réseau action climat européen, www.climnet.org. Ce chiffre n’intègre que les données de l’aviation civile… car pour les avions militaires, c’est malheureusement confidentiel. Le total est donc encore beaucoup plus élevé.
(7) Ainsi le Conseil d’Etat a jugé en février 2006 que la convention entre l’aéroport de Strasbourg et Ryanair est entachée d’irrégularité, estimant qu’il s’agissait de subventions et non d’une convention (CE 27/02/2006, n° 264406 et 264545). La Cour des comptes régionale de Poitou-Charentes arrive à la même conclusion sur l’accord passé à l’aéroport de Poitiers (délibération du 24 mai 2007).
(8) Source : IATA.
(9) - 6 % pour l’aéroport de Lyon en janvier 2009.
(10) Et là, le débat sur ce qui est « indispensable » est largement ouvert. Que penser par exemple de l’idéologie qui accompagne les ponts aériens humanitaires ?

Qui prend l’avion ?

S’il y a deux milliards de passagers en avion par an dans le monde, il faut savoir que ce sont souvent les mêmes personnes qui prennent ce mode de transport.
Selon la Direction générale de l’aviation civile, seul un Français sur quatre prend l’avion (enquête 2003 portant sur 50 000 personnes). Il n’y en avait que 5 % en 1975, 15 % en 1990. La moitié de ces Français ne vole qu’une fois par an. Si la moyenne est donc de 25,7 % pour l’ensemble de la population, ce taux monte à 60 % chez les cadres et professions libérales… et tombe à moins de 15 % chez les ouvriers et les paysans. Il monte à 44 % en Ile-de-France contre moins de 15 % en Limousin ou en Bourgogne. 48 % sont des voyages professionnels, 15 % une visite familiale, 35 % un voyage touristique, 2 % autres (dont rapatriements sanitaires).


Pour en savoir plus :
• Pour voyager en cargo : http://navigateur.info/cargo/
• Pour voyager en train en Europe : www.cff.ch (beaucoup plus complet que le site de la SNCF, surtout si vous voulez emporter votre vélo).

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer