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Blues contre les guerres

Pascal Martin

Le blues est une musique populaire par essence : chants d’ouvriers et de paysans, d’exclu-e-s, de marginaux. Dès ses débuts, il a été bridé dans son expression politique. Il ne faut pas oublier que les lynchages étaient encore fréquents au moment de son apparition dans le sud des États-Unis.

S’exprimer ouvertement n’était pas sans danger. Les auteurs et interprètes utilisent donc des subterfuges pour faire passer leurs messages :« Que tu t’adresses au président, aux nations ou simplement au mauvais sort, arrange-toi toujours pour les appeler »baby« , personne ne pourra t’en vouloir », explique ainsi John Lee Hooker.
« Je crois que le blues est plus ou moins un sentiment qui vous vient quand vous pensez que quelque chose est injuste ou que quelqu’un vous a fait du tort », estime Lil Son Jackson. Pour Joe Louis Walker, « le blues est déjà un message en soi. Il est social, il est politique. Il vient d’une souffrance même si elle est dépassée ».
Les auteurs de blues ont souvent donné de la voix contre les guerres. En effet, ils composent à partir des (més)aventures de leur existence... et leur engagement,volontaire ou forcé, dans l’armée américaine, fait partie de celles-là. Par ailleurs, pourquoi se battre pour un pays ségrégationniste ?
La vie des soldats a inspiré de nombreuses chansons parmi lesquelles Soldier’s Blues de Michael Hill’s Blues Mob (1994), où l’auteur condamne la guerre en évoquant les cauchemars des vétérans.

La ségrégation en temps de guerre

Les afro-américains n’ont pas oublié que pendant la 1re guerre mondiale, une communication remise officiellement au haut-commandement français avait exigé le strict maintient de la ségrégation dans les services armés. Ni que les actes de bravoure ou les conduites héroïques, telles celles du 369e de cavalerie composé (uniquement !) d’hommes de couleur, ont été systématiquement passés sous silence ! Selon Monique Pouget, dans Blues Magazine n° 17, les unités noires étaient formées dans des camps spéciaux et toujours commandées par des blancs. La ségrégation perdurait jusque dans les camps de la Croix-Rouge qui exigeait que dans les réserves de plasma, on séparât strictement le sang des donneurs blancs et noirs...
Ainsi dans In The Army Now, Big Bill Broonzy (1941) évoque la satisfaction avec laquelle les soldats afro-américains se sentent accueillis en Europe alors que, dans leur propre pays, ils ne sont toujours pas considérés comme des citoyens à part entière. Sans oublier le délicieux Uncle Sam Says de Josh White qui résume parfaitement toute la question : pourquoi dans ces conditions aller se battre pour un pays qui ne te reconnaît même pas le statut d’être humain ?

Déserter

C’est précisément pour cette raison que Willie Dixon refusera de se soumettre au moment de la mobilisation de 1940 – suivi par Magic Sam qui désertera en 1957.
Coïncidence ou nécessité de motiver l’enrôlement, entre 1940 et 1945, une vingtaine de titres encouragent le sacrifice patriotique et exhortent les GIs à aller combattre Hitler et le fascisme. Mais les titres anti-guerres continuent d’être composés. John Lee Hooker se réjouira de la fin des combats dans War Is Over (goodbye California) enregistré en septembre 1948 mais non publié avant 1971, de même que Lightnin’ Hopkins regrette leur éternel reprise dans War Is Starting Again.

De la Corée au Vietnam

De 1950 à 1953 vient la guerre de Corée. En 1951 J.B. Lenoir dénonce celle-ci avec Korea Blues puis I’m in Korea. La même année, Arthur Big Boy Cruddup entonne I’m gonna dig myself a hole Je vais me creuser un trou ») où il raconte l’histoire d’un insoumis qui se cache dans un trou pour ne pas partir au front.
Puis c’est la guerre du Vietnam, de 1960 à 1973, mais l’armée n’a toujours pas réussi à se départir de son image raciste. Rappelons-nous cette scène du film Hair, illustrant les grands rassemblements pacifistes, marquée par cette phrase : « Après avoir exterminé le peuple rouge, le peuple blanc envoie aujourd’hui le peuple noir combattre le peuple jaune ! ».
On ne s’étonnera pas que les artistes de blues manifestent toujours si peu d’entrain à servir les intérêts d’une société qui continue de les rejeter. A commencer par ce titre très explicite que JB Lenoir enregistre en 1966 Vietnam blues : « Dieu ! Si tu peux entendre ma prière maintenant, aide mes frères, s’il te plaît, là bas au Vietnam / Les pauvres gars combattent, tuent, se cachent dans des trous, tuent peut-être leur propre frère, sans le savoir ». Citons aussi le politiquement incorrect I don’t wanna go to Vietnam de John Lee Hooker (1968) ou encore Vietcong blues de Junior Wells où il parle de son propre frère.

L’armée en question

À propos de la bombe atomique, Homer Harris écrit en 1946 Atomic Bomb Blues accompagné à la guitare par Muddy Waters. Mack Simmons lance Blues for atomic H.
Plus près de nous, en 1995 dans F..k The Bomb, Stop The Drugs, Swamp Dogg condamne toutes les guerres tout en établissant un lien entre les ventes d’armes, le trafic de drogue et l’accès aux ressources énergétiques. Cependant, il milite dans ce texte pour un retour au service militaire obligatoire afin d’occuper une jeunesse désœuvrée. Sugar Blue quant à lui n’est pas de cet avis puisque dans Bottom Line, il défend l’idée que c’est justement l’armée qui enseigne aux jeunes le maniement des armes et les techniques de combat que les gangs utilisent par la suite en milieu urbain.

Des guitares, pas des fusils !

En 2003, Chuck D au cours du concert à New York, transforme le célèbre Boom Boom de John Lee Hooker en une chanson contre la guerre : No Boom Boom. Au cours de cette même année, Chris Whitley sort War Crime Blues, un album complet contre la guerre ! En 2007, c’est la grande mobilisation du blues contre les guerres d’Irak et d’Afghanistan : Blues Over Bagdad de Fruteland Jackson, War de JJ Grey et Mofro, tandis que David Evans milite ouvertement pour le retrait des troupes dans Bring The Boys Back Home.
Le blues n’a pas fini de nous accompagner dans nos combats contre les guerres !

Pascal Martin

Martin Luther King et les droits civiques

En 1961, JB Lenoir compose Shot on James Meredith dans lequel il interpelle le président Lyndon Johnson sur les poursuites que devrait encourir l’homme blanc qui a tiré dans le dos du premier étudiant noir de l’histoire des États-Unis. Alabama bus de Will Hairston rend hommage à Rosa Parks, cette femme couturière qui en 1955 refusa de céder sa place à un blanc dans un bus de Montgomery. et qui déclencha le boycott des transports dans la ville.
Martin Luther King est un personnage récurent dans les blues. Champion Jack Dupree compose en 1968 Death of Luther King, Otis Spann lui dédie Tribute to Martin Luther King et Big Joe Williams, The death of Dr. Martin Luther King. Howlin’ Wolf enregistre I had a dream en 1972 dans lequel le refrain renvoie directement au célèbre discours de M.L.K. le 28 août 1963, « J’ai fait un rêve ».

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