Formations non-violentes Paix et non-violence

L’action non-violente ça s’apprend !

Voler une voiture, organiser un trafic de cocaïne, égorger des civils dans un village d’Algérie ou d’Afghanistan, bombarder une ville… cela s’apprend. Alors que nous reconnaissons facilement que la violence requiert un apprentissage, nous avons du mal à admettre qu’il en va de même pour l’action non-violente.

Il existe d’excellents livres sur la non-violence. On ne perd jamais son temps à en lire. Mais rien ne remplace l’action non-violente, dans la rue, pour prendre conscience des potentialités éthiques et politiques de cette formidable puissance d’action initiée par Gandhi. C’est d’ailleurs probablement l’action directe non-violente, en plein jour et à visage découvert, qui manque le plus aux politologues, psychologues, sociologues…, car il n’ont, le plus souvent, pas encore découvert que Gandhi a déployé progressivement son éthique politique grâce aux enseignements qu’il retirait de ses actions directes : grève de la faim, boycott, désobéissance civile…
Si la non-violence, de nos jours, a encore du mal à être reconnue comme une force d’action efficace dans les luttes sociales, cela ne vient-il pas du fait que bien peu de ces luttes se réclament explicitement de la non-violence ? Il est vrai que les choses bougent depuis quelques temps avec des écologistes, les Faucheurs volontaires, le Collectif des déboulonneurs… Intéressons-nous à ce dernier, apparu sur la scène publique fin 2005.

Du côté des déboulonneurs de pub

Le propre d’une action non-violente est d’avoir un « objectif précis, limité et atteignable » [1]. C’est ce que le Collectif des déboulonneurs semble avoir bien dégagé, mais notons au passage que cela lui a pris plusieurs mois de travail. Voici donc que ce Collectif s’est promis de “déboulonner la publicité, c’est-à-dire de la faire tomber de son piédestal, de détruire son prestige” [2], en exigeant une refonte de la loi de 1979 sur l’affichage dans l’espace public, pour que celui-ci ne dépasse pas 50 x70 cm et qu’il soit limité à des dispositifs de 2 m2, avec une densité raisonnable, en fonction du nombre d’habitants. Cette nouvelle réglementation, si elle voit le jour, impliquera donc le démontage des hideux dispositifs publicitaires de 4 x 3m, et la disparition des affiches actuelles sur les mobiliers urbains qui n’ont de cesse d’agresser les piétons, en leur vantant les bienfaits d’une société de consommation pernicieuse pour l’esprit, l’environnement, la sociabilité et le porte monnaie !
Vouloir gagner sur cet objectif-là est un vrai défi ! Pour y parvenir, des groupes locaux d’activistes interviennent déjà dans plusieurs villes (Paris, Rouen, Lyon, Montpellier, Montauban, Le Mans, Anduze, Lille…), le quatrième vendredi, samedi ou dimanche de chaque mois. Lors de cette action, qui se réclame explicitement de la non-violence, un ou deux activistes écrivent des graffitis antipublicitaires à la bombe de peinture sur un ou plusieurs panneaux 4 x3m. Seuls les barbouilleurs, ceux qui bombent les panneaux, commettent un délit. Ils sont le plus souvent arrêtés et conduits au commissariat où ils s’empressent de faire mentionner sur leur déposition qu’ils ont commis un acte non-violent de désobéissance civile, à visage découvert et au grand jour, dont ils se portent responsables. Jean-François Lenoir et Geoffroy, barbouilleurs du Collectif des déboulonneurs de Montpellier, ont été les premiers à avoir eu un procès en correctionnelle, le 27 juin, avec le beau retentissement national que l’on sait.
Dans les actions du Collectif des déboulonneurs, la désobéissance civile ne concerne que les barbouilleurs. Ceux-ci veulent tous avoir des procès ! Il n’y a pas de meilleure pub pour l’antipub qu’un procès où sont jugés des activistes antipublicitaires non-violents. Car la non-violence sait inverser les choses ; c’est la publicité qui est mise en débat lors d’un procès où comparaissent des barbouilleurs de ce Collectif.
Alors que les violents cherchent le plus souvent à ne pas se faire repérer, pour échapper aux conséquences de leurs actes, les partisans de la non-violence agissent à visage découvert. Lors des actions mensuelles des déboulonneurs, les spectateurs doivent être nombreux. Ils font l’événement, tout en ne risquant rien au regard de la police et des tribunaux.

Une action non-violente, ça se prépare !

Comment conduire au préalable les réunions de préparation ? Comment s’y prendre pour que tout le monde se sente écouté et respecté ? Comment prendre les décisions et résoudre les inévitables petits conflits ? Cela s’apprend ! Il n’y a rien de plus lamentable que des réunions d’où des personnes repartent déçues, aigries… Ensuite les pseudo-animateurs ont l’impertinence de demander pourquoi il n’y a pas plus de monde lors des réunions suivantes !
Lors d’une réunion de déboulonneurs, vient le choix des panneaux à barbouiller, les contacts à établir avec la presse, la répartition des rôles qui se déploieront sur le lieu de l’action : médiateur police, photographe, orateur sur tabouret, distributeur de tracts, et autres animateurs... Tout cela doit se préparer sereinement et joyeusement. Mais n’allons surtout pas croire qu’il est facile, par exemple, de distribuer un tract à un piéton ou un automobiliste. Autant rester chez soi que de distribuer des tracts comme un automate pourrait le faire, sans regarder aimablement les personnes, sans leur adresser un petit mot humoristique, sans être préparé à ne pas répondre aux éventuelles provocations. Oui, même une distribution de tract, cela s’apprend, en groupe, lors d’exercices pratiques. Il en va de même pour tous les rôles, avec des mises en situation pratique.
Le candidat barbouilleur se doit d’être en formation permanente. Comment réagir si la police lui confisque son escabeau, le laisse moisir en garde à vue… ? Et que fera-t-il quand les afficheurs lui enverront des gros bras de la CGT comme ceux travaillant à la Cogema et qui ont naguère perturbé avec violence des manifs antinucléaires ? Tout cela se prépare à l’avance, avec toujours la même problématique : comment être non-violent avec des personnes qui ne le sont pas ?
Puis vient le jour du barbouillage ! La vérité est que si le groupe local rassemble quarante personnes, c’est que quarante personnes se retrouvent au lieu du rendez-vous avec les tripes plus ou moins en bataille. S’exposer dans une manifestation non-violente, même bien préparée, engendre toujours quelques appréhensions. Même l’activiste habitué à ce genre de pratique va lui aussi avoir à gérer des doutes et des peurs, exactement comme l’acteur de théâtre qui, en fin de carrière, a encore l’estomac noué avant d’entrer en scène. Le barbouilleur va-t-il réussir son graffiti perché à six mètres du sol ? Comment vont réagir les passants ? Que va faire la police ? Que vont dire les journalistes de France 3, ceux de la presse écrite ?
Quand un barbouilleur a été plaqué au sol et menotté, à Paris, le 26 mai, son comportement est resté exemplaire : calme, aucune injure, maîtrise de soi… Il était rôdé à ce genre de situation qui reste cependant fort désagréable ! Le plus souvent la police n’arrête que les barbouilleurs. Aucun spectateur, dans aucune ville, n’a encore été conduit au commissariat de police.
Comment réagir quand un copain barbouilleur est porté par quatre policiers dans le fourgon cellulaire ? Applaudir peut être une bonne réponse, car d’abord cela encourage le barbouilleur et calme les policiers, et ensuite tout applaudissement dédramatise une situation. On obtient exactement l’inverse avec par exemple le slogan “Police partout, justice nulle part”, même si certains estiment qu’il exprime une vérité ! Non seulement les passants et la presse s’empresseraient de mettre alors le projecteur sur le côté anti-flic de la manif, alors qu’elle avait été conçue pour que tous les projecteurs soient braqués sur les méfaits de l’invasion publicitaire et la logique de l’action non-violente. Les adversaires des déboulonneurs ne sont pas les policiers mais les annonceurs et les afficheurs. Ceux-ci dépensent chaque année un budget proche de celui du Ministère de la Défense nationale, somme qui du reste est payée par le consommateur, tel un impôt bien caché [3].
Qu’elle va être l’attitude du barbouilleur au commissariat, comment va-t-il répondre aux questions qui vont lui être posées lors de sa garde à vue ? Tout cela se travaille avant l’action pour ne pas risquer une improvisation qui pourrait entraîner ensuite des remords et beaucoup de tracas.

La non-violence n’a besoin que de meneurs

La non-violence n’a besoin que de meneurs, d’entraîneurs, d’hommes et de femmes prêts à se lancer dans l’action au grand jour et à visage découvert. Il semblerait que, grâce entre autres aux Faucheurs volontaires et au Collectif des déboulonneurs, une nouvelle génération d’activistes non-violents apparaisse. Elle apprend les moyens de la démocratie qui permettront à la démocratie de mieux être honorée.
L’action non-violente, ça s’apprend et ça se prépare. Les activistes qui s’y impliquent savent qu’ils sont toujours en formation permanente. Or il y a très peu d’organismes qui proposent des formations à l’action non-violente. Le plus simple, pour faire le grand plongeon, est encore d’en envisager une dans sa ville avec ses copains et copines. Des formateurs du MAN comme du Collectif des déboulonneurs ont les compétences pour intervenir [4].

François Vaillant
Rédacteur en chef de la revue Alternatives Non-Violentes

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer

Notes

[1Voir Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Le Relié, coll. Le Relié poche, 2005, 12 €

[2Lire le Manifeste du Collectif des déboulonneurs, un quatre pages illustré par Lécroart, disponible gratuitement sur le site www.deboulonneurs.org. Ce site permet également de visionner les actions non-violentes de désobéissance civile qui ont lieu maintenant dans de plus en plus de villes, mais aussi de lire des récits d’actions, d’entrer en contact avec des groupes locaux. Toute personne désirant créer un groupe local du Collectif des déboulonneurs dans sa ville est invitée à demander les “Fiches pratiques”, en écrivant : Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs, 24 rue Louis Blanc, 75010 Paris (joindre deux euros minimum en timbres, merci !)

[3Voir p. 21 du n° 138 de la revue de recherches Alternatives Non-Violentes (ANV). Ce n°138, entièrement consacré aux méfaits de la publicité, comporte des articles de Paul Ariès, François Brune, Serge Latouche, Pierre-Jean Delahousse, Thomas Coutrot…, on y parle beaucoup du Collectif des déboulonneurs, de Casseurs de pub, Paysages de France, Résistance à l’Agression Publicitaire… Le n°138 de la revue ANV n’est pas disponible en kiosque mais s’obtient en écrivant à : ANV, Centre 308, 82 rue Jeanne d’Arc, 76000 Rouen. Chèque de 14 € (12 €+ 2 € de port) à l’ordre de ANV.

[4Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), tél : 01 45 44 48 25.
Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs : deboulonneurs@no-log.org.

[5Voir Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Le Relié, coll. Le Relié poche, 2005, 12 €

[6Lire le Manifeste du Collectif des déboulonneurs, un quatre pages illustré par Lécroart, disponible gratuitement sur le site www.deboulonneurs.org. Ce site permet également de visionner les actions non-violentes de désobéissance civile qui ont lieu maintenant dans de plus en plus de villes, mais aussi de lire des récits d’actions, d’entrer en contact avec des groupes locaux. Toute personne désirant créer un groupe local du Collectif des déboulonneurs dans sa ville est invitée à demander les “Fiches pratiques”, en écrivant : Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs, 24 rue Louis Blanc, 75010 Paris (joindre deux euros minimum en timbres, merci !)

[7Voir p. 21 du n° 138 de la revue de recherches Alternatives Non-Violentes (ANV). Ce n°138, entièrement consacré aux méfaits de la publicité, comporte des articles de Paul Ariès, François Brune, Serge Latouche, Pierre-Jean Delahousse, Thomas Coutrot…, on y parle beaucoup du Collectif des déboulonneurs, de Casseurs de pub, Paysages de France, Résistance à l’Agression Publicitaire… Le n°138 de la revue ANV n’est pas disponible en kiosque mais s’obtient en écrivant à : ANV, Centre 308, 82 rue Jeanne d’Arc, 76000 Rouen. Chèque de 14 € (12 €+ 2 € de port) à l’ordre de ANV.

[8Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), tél : 01 45 44 48 25.
Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs : deboulonneurs@no-log.org.

[9Voir Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Le Relié, coll. Le Relié poche, 2005, 12 €

[10Lire le Manifeste du Collectif des déboulonneurs, un quatre pages illustré par Lécroart, disponible gratuitement sur le site www.deboulonneurs.org. Ce site permet également de visionner les actions non-violentes de désobéissance civile qui ont lieu maintenant dans de plus en plus de villes, mais aussi de lire des récits d’actions, d’entrer en contact avec des groupes locaux. Toute personne désirant créer un groupe local du Collectif des déboulonneurs dans sa ville est invitée à demander les “Fiches pratiques”, en écrivant : Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs, 24 rue Louis Blanc, 75010 Paris (joindre deux euros minimum en timbres, merci !)

[11Voir p. 21 du n° 138 de la revue de recherches Alternatives Non-Violentes (ANV). Ce n°138, entièrement consacré aux méfaits de la publicité, comporte des articles de Paul Ariès, François Brune, Serge Latouche, Pierre-Jean Delahousse, Thomas Coutrot…, on y parle beaucoup du Collectif des déboulonneurs, de Casseurs de pub, Paysages de France, Résistance à l’Agression Publicitaire… Le n°138 de la revue ANV n’est pas disponible en kiosque mais s’obtient en écrivant à : ANV, Centre 308, 82 rue Jeanne d’Arc, 76000 Rouen. Chèque de 14 € (12 €+ 2 € de port) à l’ordre de ANV.

[12Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), tél : 01 45 44 48 25.
Coordination nationale du Collectif des déboulonneurs : deboulonneurs@no-log.org.