Dossier Alternatives Initiatives autres

Corse : le musée qui n’existait pas encore

Michel Bernard

A Ajaccio, le « bâtiment de la petite vitesse » est partiellement occupé par la coopérative d’activités alternatives SCOPA, un collectif associatif non hiérarchisé où se retrouvent artistes, artisans et militants.

Patrimonio, commune de 700 habitants, couvre un flanc de montagne orienté à l’ouest, près de Bastia, dont une bonne partie est couverte de vignes. Une quarantaine de familles vivent de la production du vin. Au début des années 2000, le maire, Guy Maestracci, veut engager sur sa commune une démarche cohérente de développement durable. Pour cela, il propose plusieurs actions : développer le logement social, faire classer les terres viticoles (4600 ha de vignes) pour éviter la pression immobilière (le bas de la commune est en bord de mer), et développer une activité d’accueil touristique en lien avec ce qui fait la richesse de la commune. Comme celle-ci accueille depuis plus de vingt ans un festival international de guitare, il est décidé de mettre en place deux pôles d’accueil : un musée du vin, visant les touristes œnophiles, et une académie de guitare, pour accueillir des résidences artistiques.
Guy Maestracci s’intéresse à la « haute qualité environnementale » et, dans un premier temps, pense à une construction en pisé (terre compactée). Il existe déjà quelques réalisations en Balagne, région un peu à l’ouest de la commune, dues à un architecte qui a travaillé au Maghreb. Le maire s’intéresse au travail de l’architecte égyptien Hassan Fati (1) et contacte l’association Cra-Terre (2). Elle lui déconseille la terre car le village est soumis à des vents humides. Elle l’oriente vers la pierre et lui présente Gilles Perraudin.

Laisse béton !

Gilles Perraudin, architecte qui depuis longtemps s’intéresse à l’écologie, a mené toute une réflexion pour comparer le bilan du béton à celui de matériaux plus nobles comme la pierre, qui était autrefois majoritairement utilisée.
Si le béton est souvent le moins cher à mettre en œuvre, il a une faible durée de vie et, à long terme, la pierre est plus intéressante. De même, son bilan énergétique est défavorable. Mais qui, aujourd’hui, est capable de raisonner sur une période de plusieurs dizaines d’années ? Comment proposer la pierre lorsque la règle pour les communes est de choisir le « moins-disant », c’est-à-dire l’entreprise qui propose le devis le moins élevé ?
Gilles Péraudin est intervenu sur plusieurs chantiers et il a fait notamment la démonstration qu’il était possible d’associer le logement social et la pierre, même avec les coûts de main-d’œuvre actuels.
Il répond également à ceux qui pensent que la généralisation de l’usage de la pierre entraînerait la multiplication de l’ouverture des carrières : pour faire du béton, il faut tout autant de carrières… dans les deux cas, on prélève du calcaire issu de la sédimentation marine — donc lentement renouvelable —, mais la pierre est prélevée une seule fois pour plusieurs millénaires (on recycle aujourd’hui encore les blocs de pierre taillés par les Romains), alors que le béton doit être renouvelé au moins tous les siècles.

Un musée du vin et une académie de guitare

Le projet représente un énorme investissement pour une commune de cette taille : 2,2 millions d’euros. Le maire obtient l’aval du conseil municipal et le soutien de l’association des vignerons, en échange d’un engagement : le projet sera entièrement financé par des aides extérieures.
Guy Maestracci réunit cette somme : 600 000 euros proviennent du programme Pôle d’excellence rurale mis en place par le gouvernement Villepin. Il bénéficie ensuite de programmes européens qui doublent cette somme. Enfin, le million manquant est trouvé par mécénat dans le réseau qui anime le festival de guitare.
Gilles Perraudin commence à travailler sur le projet en 2008. Il observe les constructions en pierres de l’île et découvre les pagliaddiu, petites maisons en pierres sèches (3). Il s’en inspire pour concevoir le musée sous forme de six pièces indépendantes, avec des voies de circulation extérieures. Pour éviter la surchauffe en été, il met en place une climatisation naturelle : des treilles avec des vignes comme pare-soleil sur les murs sud, ce qui permet de présenter les différents cépages de l’île, et des circulations d’eau dans des bassins. En hiver, quand les vignes ont perdu leurs feuilles, les murs sud bénéficient de la chaleur du soleil. La terre fertile extraite lors des fondations est répartie sur les toits, pour créer une couverture végétale qui assure une bonne isolation contre le chaud et le froid. Le terrain étant en légère pente, une double circulation est possible : par des escaliers aménagés entre les bâtiments et par des sols en pente douce qui les contournent. Les charpentes sont en pin laricio, un résineux local. Une carrière située près de Bonifacio, au sud de l’île, fournit les pierres, mais elle fait faillite pendant le chantier. Il faut importer le reste d’une carrière de Provence, et le transport maritime entraîne un surcoût de 4 %. Le chantier prend fin en 2011.

Imbroglio politique

Pendant la construction, la crise économique se déclare, ce qui provoque des débats au sein du conseil municipal : de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer le futur coût de fonctionnement : certains estiment trop optimistes les estimations de 25 000 visiteurs par an (4), sur lesquelles reposent le financement de six salaires et des frais de fonctionnement.
Guy Maestracci fait alors un autre montage financier, toujours avec de l’argent public, pour assurer une grosse part des frais de fonctionnement, en particulier l’autonomie de l’académie de guitare. Mais cela prend du temps et le budget n’est bouclé que fin 2013.
Pendant ce temps, les bâtiments restent vides et la situation s’envenime. Contre le maire sortant, soutenu par le PRG, une liste se présente, menée par le premier adjoint, José Poggioli, et soutenue par quelques personnes de droite et des nationalistes modérés.
Guy Maestracci est battu (5) et la nouvelle équipe municipale annonce une révision du projet. Mais, alors que des mots très durs ont été échangés pendant la campagne électorale, la nouvelle municipalité se rend compte que l’on ne peut pas faire n’importe quoi avec un bâtiment qui, bien que vide, commence à attirer du monde simplement par son intérêt architectural. Actuellement, les débats sont toujours en cours…

M. B.

Pour en savoir plus
• Construire en pierre de taille aujourd’hui, Gilles Perraudin, Les Presses du réel, 2013, 68 pp.
www.perraudinarchitectes.com

(1) Hassan Fati a mené dans les années 1960 à 1990 tout un travail de critique du béton en Egypte, réalisant des maisons en pisé pour les populations pauvres. La terre est issue du creusement des fondations, donc sa mise en œuvre ne nécessite aucun transport. Hassan Fati est le premier lauréat du prix Nobel alternatif en 1980.
(2) CraTerre, 2, rue de la Buthière, 38090 Villefontaine, tél : 04 74 95 43 91
(3) Appelée borie dans le sud de la France, truli en Italie…
(4) La Corse accueille 3 millions de touristes par an, un chiffre toujours en hausse malgré la crise économique.
(5) On compte 30 candidats pour 15 sièges. Les élus ont remporté entre 368 et 345 voix, Guy Maestracci n’en obtenant que 296.

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