Dossier Environnement Transports Monde

Vivre dans l’Arctique sans voiture

Elisa Peter

Même dans un endroit particulièrement rude à vivre, il est possible de se passer d’une voiture. A condition de bien s’organiser.

La première chose qu’ils m’avaient dis était « il te faut une voiture ici ! ». Je venais d’arriver a Jokkmokk, un village de 3000 habitants perdu dans la taïga au-delà du cercle polaire en Suède. J’y suis restée cinq ans. Cinq ans sans voiture.
Comme si Jokkmokk n’était pas assez isolé, j’ai décidé d’emménager six mois après mon arrivée dans un hameau de vingt habitants a 15 km de Jokkmokk, dans la forêt. Et j’ai acheté… un vélo orange que j’ai appelé Féja (la superbe déesse de la fertilité que les Vikings vénéraient). Et là, j’ai cru que les gens devenaient fous autour de moi. Par contre eux, c’est moi qu’ils trouvaient folle. Ils se sont fait un peu de soucis les premiers temps, les voitures s’arrêtaient sur la route pour me proposer d’embarquer et mon vélo et ma personne jusqu’à ma destination finale. Il faut dire que j’avais oublié de me procurer des vêtements contre la pluie et je me suis fait bien rincer quelques fois, mais c’était rafraîchissant, surtout que l’on n’avait pas de douche à la maison.

Je me souviendrai toute ma vie de ces moments de solitude privilégiés, seule sur la route déserte et silencieuse. Des moments uniques de communion avec la nature, de réflexion, propices a l’imagination et aux rêves les plus fous.

Et puis l’hiver est arrivé. Un hiver rude, sombre et long, très long. Le mercure est descendu doucement mais sûrement jusqu’à -40°C et la terre s’est recouverte d’un épais manteau blanc. J’ai arrêté de pédaler quand le froid m’a empêchée de changer mes vitesses. Il faisait seulement -5°C. J’ai des amis en Alaska qui vont au boulot toute l’année à vélo, même quand il fait -30°C, mais ils n’habitent pas à quinze kilomètres de leur lieu de travail. Je me suis donc installée dans une chambre « en ville » (à Jokkmokk) pour les quatre mois les plus rudes de l’hiver. Et j’ai continué à faire ça les cinq hivers que j’ai passés là-haut. J’avais donc ma résidence principale au hameau, et ma résidence d’hiver à Jokkmokk.
Je me souviendrai toute ma vie de ces moments de solitude privilégiés, seule sur la route déserte et silencieuse entre Jokkmokk et le hameau, au fil des saisons sous le soleil de minuit ou sous les aurores boréales, longeant la forêt et les lacs, faisant un bout de chemin avec les rennes, croisant un élan, un lièvre ou un faisan, le vent dans mes cheveux, le silence de la taïga, les odeurs de mousse et de champignons après la pluie. Des moments uniques de communion avec la nature, de réflexion, propices à l’imagination et aux rêves les plus fous.

Elisa Peter
elisapeter2002@yahoo.com

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