Dossier Environnement Transports

Des îles turques qui ont refusé la motorisation

Yaakov Garb

Lorsque l’on descend du ferry à Buyukada, la plus importante des neuf îles Princesse, à moins d’une heure au sud d’Istanbul, dans la mer de Marmara, on prend subitement conscience de quelque chose : il n’y a pas de voitures !

Quand, en 1911, les premiers véhicules sont apparus à Istanbul, il était difficile de les transporter sur les îles. Au début, les îliens n’étaient pas très intéressés par ces nouvelles machines et, peu à peu c’est devenu une tradition puis une loi : les véhicules à moteur sont interdits encore aujourd’hui sur l’ensemble de l’archipel.
Depuis plusieurs siècles, ce sont les voitures à chevaux qui ont été utilisées sur les îles et aujourd’hui. Seules les bicyclettes ont réussi à se développer à leurs côtés. La population permanente sur ces îles est de 17 000 personnes, chiffre qui grimpe à un quart de million pendant la saison touristique estivale.
Aujourd’hui, sur l’ensemble des neuf îles, on ne compte qu’une douzaine de véhicules à moteur : un minibus de ramassage scolaire qui ne fonctionne qu’en hiver, des véhicules de police et des véhicules de pompiers. Interrogé, Huseyin Sahin, le chef de la police, n’arrive pas à se souvenir d’un seul accident entre voitures à chevaux depuis 26 ans qu’il est en fonction sur ces îles. Il n’a que le souvenir de quelques plaintes concernant l’odeur des chevaux ou le bruit excessif de certains véhicules. Pour différentes raisons, onze conducteurs ont eu leur permis suspendu en 2003 (sur 304 permis délivrés) pour divers délits. Une fois par exemple parce qu’un conducteur transportait des touristes sur un véhicule prévu pour le transport du bois.
Y a-t-il des demandes pour supprimer la loi interdisant les véhicules à moteur ? Munir Hamamcioglu, un hôtelier natif de Buyukadan, estime que cela serait aussi dur que de détrôner la reine d’Angleterre.

Effet de symbiose

La gare de transport est située à proximité du square central de la ville. Là, des passagers font la queue en attendant un véhicule. Les transports en commun, en voiture à chevaux donc, fonctionnent de six heures du matin à trois heures du matin en été et de huit heures du matin à minuit le reste de l’année. Le tarif le plus élevé, pour faire le tour complet de l’île principale, est actuellement de 10€. Une symbiose s’est mise en place entre les voitures à chevaux et les vélos. Les cyclistes peuvent mettre leurs véhicule dans les voitures à chevaux, ce qui est pratique pour franchir les collines. Partout dans ces îles, les piétons sont prioritaires sur les voitures à chevaux.
Mais même avec ce choix de non-motorisation, les îles dépendent encore du pétrole : il existe tout un ensemble de liaisons maritimes entre les îles et avec la côte dont Istanbul qui se fait avec des bateaux fonctionnant au fuel. Un autre usage curieux du pétrole est fait sur ces îles : les pesticides comme le DDT étant interdit, la solution pour se protéger des moustiques en été est de pulvériser dans la ville un fin nuage de pétrole, ce qui, selon les informations officielles, ne représenterait pas de danger pour les humains !
Malgré cela, on est frappé par la pureté de l’air et la tranquillité. Nous sommes tellement habitués à entendre en bruit de fonds différents grondements de moteurs que cela en est bouleversant. Les rues, libres de voitures, paraissent extrêmement larges et calmes. Ceci n’a pas échappé aux touristes qui ne se plaignent jamais de l’absence de motorisation. Au contraire. La sérénité de ces îles montre qu’une communauté de personnes peut vivre et prospérer en se passant complètement de moyens de transport motorisés.

Yaakov Garb

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