Dossier Environnement Transports France

L’habitat écolo sera-t-il à la campagne ?

François Schneider

C’est une grande contradiction : les écolos veulent vivre proche de la nature, pour cela, ils font appel aux engins et au système les plus destructeurs des milieux naturels : la voiture et tout ce qu’elle implique. Peut-on résoudre ce paradoxe ?

L’habitat dit « écologique » semble situé systématiquement à la campagne. En feuilletant les magazines et livres sur le sujet de l’habitat écolo il semble que la question des transports des personnes est bien souvent mise de côté. C’est d’autant plus surprenant que certaines réflexions sont très poussées sur le cycle de vie des matériaux par exemple, et les innovations sont très prometteuses dans le domaine énergétique dans l’habitat même. Mais l’emplacement des maisons écologiques, et les modes de transport qu’elle vont imposer à ses habitants est rarement mis dans l’équation. La création d’une dépendance à la voiture n’est pas pris en compte.
Pour de nombreuses personnes, aller vivre à la campagne est en soi un acte écologique. Mais un acte écologique ne consiste pas seulement à bénéficier d’un environnement moins détruit, il s’agit aussi bien de moins contribuer à la destruction des milieux écologiques. Et c’est ici que la voiture a un rôle central. L’usage d’une voiture va permettre aux nouveaux « rurbains » de continuer un mode de vie urbain à la campagne (1)1. Les statistiques en provenance d’Allemagne1 sont diaboliques (2) : bien qu’il y ait certainement des exceptions, il semble que l’usage des voitures n’est pas réduit par les convictions écolo. Autrement dit, quand on l’a, on l’utilise. Les écolos ne ressentiront pas tellement les problèmes de pollution, tandis qu’individuellement, ils créeront un problème plus grand mais dont les conséquences seront ressenties ailleurs. Autrement dit, ils vont pouvoir externaliser une bonne partie de leur pollution. Grâce à la voiture ils pourront aller travailler ailleurs, aller au cinéma ailleurs, acheter leur nourriture et importer ce que bon leur semble, et toutes ces productions seront produites ailleurs, mais tous les déplacements générés seront très peu ressentis au niveau de leur habitation.

Un acte écologique ne consiste pas seulement à bénéficier d’un environnement moins détruit, il s’agit aussi de moins contribuer à sa destruction.

Un système global

L’abandon de la voiture ne viendra pas tout seul ! Il s’agit de se pencher sérieusement sur le mode de vie écologique et réussir à concevoir une proximité de la nature qui ne transforme pas en un étalement urbain généralisé sur le mode de ce qui s’est passé depuis trois décennies en marge des villes, c’est-à-dire une explosion du trafic dans une quête destructrice de la nature. La voiture n’est pas le bon outil pour chercher la nature car elle la détruit dans son sillage !
Et il ne s’agit pas de science fiction : le résultat du retour à la campagne des dernières décennies est déjà là. L’étalement de l’habitat avec la voiture transforme la campagne en une sorte de sous-ville avec les mêmes habitudes, les mêmes modes de pensée, la même dépendance à l’extérieur. Un des grands aspects oubliés de la voiture, c’est son énorme capacité à transformer l’espace autour de nous et nos modes de vie. On n’acquiert pas simplement une voiture, on acquiert aussi toute une nouvelle relation à l’espace et au temps, de la pollution, du bruit, des amis différents, des relations différentes, un statut différent, un travail pour la payer, et des infrastructures énormes qui incluent entre autres, des routes, des voies rapides, des stations essence, un habitat disséminé, des
hôpitaux pour les blessés, des garages, des parkings, c’est ce qu’on peut appeller le système technico-social lié à la voiture.
Un habitat écologique doit au moins survivre au test de la généralisation : « que se passerait-il si tout le monde suivait ce mode de vie ? ». Généralisé à l’échelle du pays, le mode de vie écolo-campagnard avec voiture (tel qu’il se développe actuellement) aurait un impact dramatique sur l’environnement et ne constituerait pas un exemple à suivre (3). Il nous faut donc chercher autre chose.
Pour de nombreux habitants de la campagne, la voiture est principalement perçue comme une solution permettant une meilleure autonomie. Dans cette optique la voiture permet de ne pas être dépendant des transports publics, de pouvoir partir à l’horaire préféré. Les voitures permettent aussi de vivre dans n’importe quel endroit isolé de la campagne. Mais cette analyse peut être renversée. La voiture permet à une non-autonomie de se perpétuer. A chaque fois que nous n’arrivons pas à autoproduire, que ce soit la nourriture ou l’énergie, nous utilisons l’automobile. Sans voiture nous développerions des systèmes conviviaux indépendants, incluant des systèmes de transport plus doux, qui nous rendraient finalement bien plus indépendants.

Sans voiture nous développerions des systèmes conviviaux indépendants, incluant des systèmes de transport plus doux, qui nous rendraient finalement bien plus indépendants.

Et un aspect important de la perte d’autonomie est le coût que représente la voiture dans le cadre des faibles revenus qui sont souvent le lot de ceux qui vivent à la campagne. On m’a rapporté le cas d’un couple isolé qui dépensait 80% de ses revenus dans les frais de transport. Les raisons sont simples : les revenus sont plus faibles à la campagne et les coûts sont plus élevés (nombreux 4x4, infrastructures plus lourdes, distances plus importantes).

François Schneider

(1) Les nouveaux rurbains n’hésitent pas à faire 30 km pour aller travailler.
(2) S. Lorek, J.H. Spangenberg, 2001. Indicators for Environmentally Sustainable Household Consumption. Int. J. Sustainable Development 4.
(3) Pire que l’existence des villes car la campagne à urbanisation étalée ne bénéficie pas de l’économie d’échelle que l’on trouve dans les villes. Le problème est que les citadins consomment souvent plus, en partie car ils ont quand même plus de tentations et de revenus.

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