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Technologie et brise de conscience

Christian Maillebouis

Christian Maillebouis, auteur d’un article « Hélice au pays des merveilles » (octobre 2001) a été critiqué pour son manque de vision globale par Bertrand Louart (mai 2002). Voici la suite du débat.

En octobre 2001, un article intitulé « Hélice au pays des merveilles » présentait succinctement la réalité éolienne en France. En quelques pages, il était difficile de détailler le sujet au risque de décourager de nombreux lecteurs. Je me contentais alors de rester sur des aspects factuels sans aborder les questions de fond, par exemple le rapport de nos sociétés à l’énergie en général. Cependant en conclusion, j’ouvrais, du moins me semblait-il, la réflexion sur des sujets annexes : nature profonde et projet des industriels de cette filière, problème de l’acceptabilité des populations riveraines, pertinence incontournable de la maîtrise de l’énergie, etc.
Apparemment, cet article « a agacé à cause de contrevérités qu’il contient » un dénommé Bertrand Louart (1). Celui-ci ayant curieusement évité d’énoncer ces dites contrevérités, je suis dans l’incapacité de les reprendre afin de les expliquer et éventuellement de les référencer. Par contre, cette mise en cause me permet de revenir sur certains points essentiels évoqués dans ces deux articles.
Déplacer le débat de l’actualité de l’industrie éolienne en France sur celui plus philosophique de la place de l’énergie dans nos civilisations est très salutaire. Comme de nombreux lecteurs de cette revue, j’y souscris totalement (2). Mais ce positionnement radical ne doit pas nous empêcher de regarder autour de nous, d’analyser les modes de vie majoritairement répandus, de sentir les profondes tendances des sociétés tant occidentales que celles des pays dits en « voie de développement », et cela afin de prévoir notre avenir commun. Que cette réflexion amène certains à prôner des solutions idylliques, soit ! Cependant l’urgence est aujourd’hui à un pragmatisme quotidien plutôt qu’à un autisme intellectuel.
Ainsi, quitte à lasser certains rêveurs, je répéterai rapidement l’itinéraire dramatique choisi par les civilisations occidentales pour notre vaisseau planétaire. Ici, quoiqu’on en pense, l’énergie électrique est devenue un bien revendiqué par tous, au point même que la notion de service public y est étroitement associée. Aux yeux de beaucoup, si ce n’est de tous, elle est incontournable, voire vitale : qu’une tempête vienne à détruire partiellement ce cordon ombilical qui relie nos villages et c’est une catastrophe relevant d’actions humanitaires urgentes… Aujourd’hui notre réalité est ainsi, et la généralisation légitime et attendue de cette « source de vie » aux deux milliards d’êtres humains qui en sont dépourvus est très problématique.
Pour obtenir cette électricité, il n’y a guère que trois possibilités en l’état actuel de la technologie. Soit une production thermique classique à partir de combustibles fossiles (charbon, gaz, fuel, etc.) avec le cortège de rejets de gaz à effet de serre (GES) correspondant, et les prévisibles conflits internationaux directement liés à la raréfaction pour la prochaine génération de ces combustibles extrêmement mal répartis sur notre planète. Soit une production nucléaire avec ses dangers radiologiques induits, les problèmes insurmontables de la gestion des déchets multi-séculaires et l’impossibilité technico-économique de diffuser cette technologie en « toute sécurité » militaire et civile à l’ensemble de l’humanité. Soit enfin de développer l’utilisation des énergies renouvelables, propres, diffuses et inépuisables, conjointement avec de fortes actions de maîtrise des consommations. Il est étonnant que cette réalité si simple dans son énoncé soit si peu intégrée par nos dirigeants et, révélation, par quelques lecteurs de Silence !
Devant les effets criminogènes de notre actuelle production électrique, la Communauté Européenne a proposé des objectifs (3) à l’horizon 2010 qui, à mon humble avis, ne résoudront certainement pas la crise du fait de leur faible ambition. Cela a tout de même le mérite de soulever quelques questions fondamentales.
1/ Pour la France, ce plan prévoit qu’environ 5% (4) de notre future consommation électrique devra être assurée par l’énergie éolienne, soit l’équivalent de la production nette de 4 à 5 réacteurs de 900 MW (5). Ainsi toute argumentation qui tendrait à tromper en faisant miroiter un remplacement total de nos centrales nucléaires seulement par des éoliennes est profondément malhonnête. D’ailleurs, un tel discours n’a été tenu par aucun acteur responsable dans le secteur des énergies renouvelables et les quelques lignes tirées d’une annexe du livre de B et R Belbéoch (6) font preuve d’une grande désinvolture intellectuelle.
Faut-il rappeler que le fondement d’une politique énergétique durable est basé sur la diversification des sources de production en fonction des potentialités locales ? Prôner alors le tout éolien est une aberration profonde qui ne vise qu’à discréditer cette filière et ses acteurs, tout en apeurant inutilement certains esthètes des paysages.
Malgré tout, cette planification nous amène naturellement à réfléchir sur l’empreinte écologique (7) de milliers d’éoliennes dans notre pays. Rappelons d’abord que le nombre programmé d’éoliennes à installer en France se situera entre 5000 (prévision du ministère de l’industrie) et 10 000 (prévision de l’ADEME), et qu’il est probable qu’à l’horizon 2010, un nombre certain, on parle d’un tiers (?), de ces installations se feront en mer à une dizaine de km des côtes.
Néanmoins dans l’absolu, ces chiffres élevés peuvent apparaître importants et leurs impacts sur le paysage difficiles à imaginer. Une estimation comparée à quelques autres recensements d’édifices similaires en terme de dimension pourra rassurer certains. Ainsi en 2010, il y aura environ deux fois moins d’éoliennes en France que de châteaux d’eau qui, convenez-en, ne caractérisent nullement nos vertes campagnes. De plus, ces éoliennes seront souvent regroupées par dizaines diminuant d’autant leur emprise sur le paysage global d’une région. Enfin, face aux quelques 250 000 pylônes EDF supportant les 95 000 km de lignes de haute tension supérieure à 63 kV étroitement liées à l’actuelle production centralisée, on soupèse assez bien la future prégnance d’implantation d’éoliennes.
Mais pour bien apprécier l’empreinte totale d’une industrie, il est nécessaire d’intégrer le temps de retour à la normalité après sa cessation d’activité. En effet, les surfaces occupées par toute industrie ne se libèrent jamais au claquement de doigt, à la simple fermeture des sites. Quand donc le site de Malville (Seveso, Salsignes, etc.) retrouvera sa virginité d’antan ? Puisque les anti-éoliens prennent si rapidement l’exemple du nucléaire pour dévaloriser les énergies renouvelables, ne faut-il pas rappeler certains faits incontournables ?
En France, les grandes étapes de la déconstruction d’une centrale nucléaire sont régies par le décret du 11 décembre 1963 modifié par celui du 19 janvier 1990. Ce texte impose à l’exploitant d’indiquer les diverses étapes de la fermeture de la centrale nucléaire et la remise en état du site en respectant des règles minimales de surveillance. Ainsi le démantèlement d’une centrale nucléaire se programme actuellement sur 50 ans. Pour une centrale nucléaire classique (8) d’une durée de vie de 30 années, l’empreinte écologique minimale est de 8 500 hectares-années. Il est évident que ce calcul n’intègre absolument pas les aires de stockage ultime des matériaux irradiés du fait même que leur période d’activité porte pour certains sur des dizaines de milliers d’années. Dans ces conditions, l’empreinte écologique calculée serait gigantesque, sans aucune comparaison possible avec d’autres industries ! A l’opposé, une éolienne dont les fondations ont une emprise au sol d’environ 100 m2 se démonte totalement en quelques jours, sans grande pollution résultante des sites. Ces quelques chiffres montrent combien l’impact sur l’environnement dans la durée — le seul qui vaille — même de quelques dizaines de milliers d’éoliennes, est objectivement dérisoire devant celui d’une unique centrale nucléaire.

L’impact sur l’environnement dans la durée — le seul qui vaille — même de quelques dizaines de milliers d’éoliennes, est objectivement dérisoire devant celui d’une unique centrale nucléaire.

2/ Une tout autre interrogation est de savoir si notre mode de consommation énergétique occidental, aussi condamnable qu’il soit, peut être comblé totalement par l’ensemble des énergies renouvelables. Evidemment, la question est si vaste, que je ne saurais ici la résoudre. Je me bornerai à énoncer quelques données facilement contrôlables en guise d’éléments de réflexion.
En ces temps électoraux incertains, l’Autriche se rappelle à nos bons souvenirs ! Ce pays dont la densité humaine est comparable à la nôtre, produisait en 1999 près de 80% de son électricité par des renouvelables alors qu’en France on en était à peine à 15%. La réglementation sur le chauffage électrique (9) y est si contraignante que dans les faits il est pratiquement impossible de choisir un tel mode de chauffage. De plus, le gouvernement autrichien vient de prendre des mesures similaires pour le chauffage au fuel… Aussi, 150 000 m2 de capteurs solaires y sont installés par an, alors que la France est sur des bases dix fois moindres et culmine péniblement avec un parc d’environ 400 000 m2 de capteurs installés (10). Et il ne viendrait vraiment à l’esprit de personne de dire que le niveau actuel de vie des Autrichiens est inférieur au nôtre… Cette rapide comparaison montre qu’avec une volonté politique réelle et soutenue, il est bien sûr possible à nos sociétés occidentales de sortir de l’ère paléocalorifique sans pour autant heurter l’ensemble de nos concitoyens insouciants ou/et égoïstes. A l’aune de l’exemple autrichien, il est évident que cette sortie totale sera d’autant plus rapide si les trois leviers suivants sont actionnés simultanément : la maîtrise de
nos consommations (11), le soutien à l’industrie émergente des énergies renouvelables, et enfin une vive sollicitation de la recherche dans ces domaines énergétiques alternatifs.

La sortie du nucléaire sera d’autant plus rapide que les trois leviers suivants seront actionnés simultanément : la maîtrise de nos consommations, le soutien à l’industrie des énergies renouvelables, et enfin une sollicitation de la recherche dans ces domaines énergétiques alternatifs.

3/ En septembre 1997, la norme européenne ISO 14040 était homologuée en France. Son domaine d’application, comme indiqué en son titre, est le « management environnemental » (Ouf !). L’intérêt fondamental de cette norme est qu’elle établit les principes et un cadre méthodologique pour les « analyses du cycle de vie » (ACV) (12) d’objets ou de systèmes de production. Aujourd’hui, cette récente notion est encore loin d’avoir pénétré les esprits français (13).
Toute production d’énergie induit diverses charges écologiques (occupation d’espace, émission de rejets dangereux, consommation d’énergie primaire, perturbation du cycle de l’eau, etc.) que seule une ACV détaillée et circonspecte permet de mesurer exactement. Cette approche est essentielle dans une comparaison objective des différents systèmes producteurs d’énergie. Nous connaissons les raisons profondes qui orientent actuellement nos choix de produits énergétiques. Du particulier à l’Etat, ces logiques ne relèvent finalement que du registre économique. Depuis les décisions électronucléaires sous Pompidou jusqu’à la protestation régulière des automobilistes sur le prix des carburants, toutes nos politiques énergétiques se cantonnent sur un court terme financier et très conjoncturel. Les rapports sociaux, la politique, l’économie, etc. sont évidemment des éléments fondamentaux d’une société mais biaisent dès la racine toute vision critique sur la pertinence « durable » d’un choix technologique.
Dans le secteur électrique, ces ACV sont particulièrement éclairantes (14) ! Elles permettent de comparer objectivement les différentes filières et de calculer les temps de retour énergétique (15) de chaque système. Sans sous-évaluer les autres écobilans partiels (sur le CO2 rejeté, le cycle de l’eau, etc.) ou les impacts environnementaux annexes, il est capital dans le domaine de l’énergie (électrique ou non) de connaître précisément le temps mis par un système à être excédentaire en énergie. A quoi bon produire de l’énergie, si l’énergie produite ne couvrira jamais (ou tardivement) celle qui a été nécessaire à la constitution du système de production ? Dans nos sociétés non conviviales (capitaliste, communiste, dictatoriale, etc.), certains groupes de pression (industriels, banquiers, etc.) conçoivent encore des systèmes obsolètes producteurs d’électricité, avec des rendements énergétiques globaux catastrophiques, simplement parce qu’ils sont rentables sur le plan économique à court terme. Mais qu’il arrive alors une grave perturbation (catastrophe, guerre, ouverture du marché, etc.) dans cette réalité socio-économique et l’équilibre de ces systèmes énergétiques bascule du fait de leur faible pertinence technologique. A l’opposé, certaines nouvelles filières électrogènes basées sur les énergies renouvelables présenteraient des temps de retour énergétique extrêmement faibles mais ne peuvent apparaître à cause d’une situation économique peu propice (monopole, dumping des énergies concurrentes, industrie émergeante, seuil de production, etc.).

Une éolienne produit au cours de sa vie 80 fois l’énergie initialement mobilisée. Performance inégalée par les autres systèmes de production électrique. Un réacteur nucléaire ne produit au terme de son existence qu’environ 6 fois l’énergie nécessaire à sa construction et à son fonctionnement.

Ainsi, des études danoises (16) ont montré que les temps de retour énergétiques des éoliennes sont de trois ou quatre mois suivant les régimes de vent où elles étaient placées, et qu’elles produisaient au cours de leurs vies 80 fois l’énergie initialement mobilisée par elles. Performance inégalée par tous les autres systèmes de production électrique. En tout cas sans aucune commune mesure avec les résultats nets de l’énergie nucléaire dont les temps de retour énergétiques des réacteurs est de quelques années, et avoisinent même pour certains chercheurs la dizaine d’années (17) ! Ainsi, ces centrales nucléaires qui apparaissent pour beaucoup comme incontournables produisent au terme de leur existence environ 6 fois l’énergie nécessaire à leur construction et à leur fonctionnement. Tout cela, bien sûr, si aucun accident grave ne vient perturber ce bilan énergétique et qu’on considère
que tous les problèmes de démantèlement et de gestion des déchets sont totalement connus et maîtrisés pour les quelques siècles à venir !
4/ « Chaque nouveauté technique est beaucoup plus qu’un moyen ; elle est une puissance culturelle. […] Les technologies modèlent les sentiments et façonnent les conceptions du monde » (18). Les énergies renouvelables n’échappent pas à cette évidence. De par le simple fait de la multiplication des sources énergétiques, elles favorisent un type de société décentralisée où chacun est appelé à une plus grande responsabilité dans sa consommation, envers son environnement et les générations futures. Aux portes du village, l’éolienne, par sa présence, imposera inévitablement des questions fondamentales sur notre avenir énergétique. Chacun assumera alors ses choix énergétiques et leurs conséquences, notamment sur son paysage chéri et coutumier, sans aliéner, là-bas, de plus opprimés. Qu’une période de calme plat advienne, et les interrogations fuseront comme à la suite d’une marée noire mais avec ô combien moins de désagrément. Nul doute que cette technologie éolienne apportera une brise de conscience dans nos sociétés aveuglées et que, peu à peu, certaines notions d’émancipation spirituelle s’ancreront. Le Swadeshi, « Le fait de nous restreindre à l’usage et aux ressources de notre environnement immédiat » cher au mouvement gandhien, souvent symbolisé par un rouet à l’allure messianique (19), le Charka, deviendra alors un des fondements de nos civilisations libérées.

Christian Maillebouis

Analyse du cycle de vie

L’ « Analyse de cycle de vie » (ACV) est une technique d’évaluation de l’empreinte écologique d’un produit tout au long de sa vie, depuis l’acquisition des matières premières nécessaires à sa production, son utilisation jusqu’à sa destruction. La figure suivante synthétise l’ensemble des fonctions analysées dans une ACV. Mais suivant les caractéristiques physiques du produit (nature, dimension, durée de vie), certains domaines d’exploration de l’ACV peuvent être privilégiés. Dans le cas d’un emballage, l’étude critique de la phase post-utilisation est essentielle. A l’inverse pour des produits à longue durée de vie, générateurs d’impacts durant leur usage, c’est la phase d’utilisation qui sera prépondérante.


Principe d’analyse du cycle de vie d’un produit

Les impacts environnementaux étudiés portent généralement sur l’utilisation des ressources primaires (matière première, énergie, eau, etc.) et sur leurs conséquences notamment en terme de santé publique.
Une ACV ne traite donc pas des aspects économiques ou sociaux (conflit d’intérêt, phénomène de mode, etc.) d’un produit. En cela elle se détache de la relativité de la société humaine pour rechercher une certaine positivité matérialiste. Ainsi pour connaître l’écobilan d’un kilo d’acier, il faudra connaître des données objectives : la quantité de minerais à extraire, l’énergie nécessaire à l’extraction, à son transport, à sa purification (soit en unité physique classique (kWh, Tep, etc.), soit en unité de travail humain), mais jamais de l’état fluctuant du marché financier (cours de la bourse, taux de change, spéculation, etc.), des soutiens économiques à la filière (subvention déguisée ou non, défiscalisation, etc.), voire des inégalités sociales (salaires, statuts des ouvriers, etc.), toutes choses très difficiles à maîtriser au présent et à comparer entre pays et dans le temps.
La finalité d’une ACV est d’apporter des informations pertinentes et comparatives sur un produit en vue d’une quelconque prise de décision. Ainsi suivant la destination de cette étude, l’ACV peut intervenir sur les ventes d’un produit, l’amélioration d’un processus de fabrication, le rejet d’une solution technique, etc.
Si l’intérêt d’une telle démarche est réelle tant pour les industriels que pour les consommateurs (du produit en question au consommateur du vaisseau planétaire), il demeure que sa réalisation est aujourd’hui souvent difficile à mettre en œuvre. Plus la complexité du produit analysé est grande et plus l’ACV sera longue à cerner. Un monde sépare l’ACV des épingles à nourrice, par exemple, et celle des fusées Ariane 5. La priorité consiste toujours à bien délimiter le système d’étude. Ainsi, étudie-t-on simplement l’objet strict (épingle à nourrice) ou bien un ensemble plus complexe qui produit cet objet (l’ensemble de la filière métallurgique qui aboutit entre autres à cette épingle à nourrice). Pour diminuer certaines de ces difficultés, voire pour répondre aux principales préoccupations des mandants, ces ACV peuvent aussi cibler un registre d’étude plus succinct et donc
plus facile à maîtriser : par exemple, le cycle de l’eau mis en jeu par un produit, celui du carbone sous sa forme dioxyde (CO2), etc.
Le contenu énergétique est aussi une approche mono critère de ces ACV. L’évaluation complète des énergies consommées par un produit sur l’ensemble de son cycle de vie est encore peu courante. L’étiquette « Label Energie » qui repère les appareils électroménagers en fonction de leur consommation d’électricité par une lettre de A à G va dans ce sens. Malheureusement ce dispositif est très limité et ne s’attache qu’à la période d’utilisation. La prise en considération de plus en plus souhaitée des déchets de toutes natures et notamment des gaz de combustion, ainsi que la raréfaction programmée des sources fossiles d’énergie imposeront à terme de tels labels sur tous les produits et porteront sur l’ensemble de leur cycle de vie. Dans une approche holistique des problèmes énergétiques, la connaissance de la consommation, même réduite, d’un produit à faible durée de vie n’est guère essentielle si par ailleurs ce même produit exige beaucoup d’énergie pour être fabriqué puis recyclé en fin de vie, de grandes quantités de pétrole pour l’élaboration de ses matières plastiques ou pour le transporter, etc.

Ecobilan

En Allemagne, le terme synonyme des ACV, « Ökobilanz », est plus connu et a bénéficié de quelques travaux remarquables ayant eu un vif écho médiatique. L’étude la plus réputée est celle de Stefanie Bäge du département des transports de l’Institut Wuppertal qui a mis en évidence le volume de déplacement considérable généré par les yaourts aux fraises. Chaque yaourt représente une accumulation de voyages d’environ 8000 km pour l’ensemble de sa fabrication. Personne n’ignorait que les matières premières (carburants, métaux, plastiques, etc.) et les fruits voyagent d’un bout à l’autre du monde, mais les Allemands sous-estimaient totalement la complexité extravagante de ces échanges. A la suite de cette révélation, de nouveaux yaourts aux fruits, à basse consommation énergétique, furent proposés et obtinrent une juste reconnaissance des consommateurs. Depuis, les écobilans se multiplient à la satisfaction de tous.
On peut imaginer que dans une société future, pleinement responsable de son avenir, les étiquettes des pots de yaourts indiquent conjointement le nombre de calories du met et celui nécessaire à sa production, sa teneur en eau et les quantités de liquides utilisées en amont de sa consommation, etc. Cette information permettra au consommateur de raisonner ses achats et influencera, en amont, les filières de fabrication. Aujourd’hui, le consommateur est malheureusement dans une ignorance quasi totale de ces processus techniques de fabrication et les abus des industriels ne sont contrôlés qu’à l’aune de la rentabilité marchande. On retrouve là un souci voisin du mouvement « De l’éthique sur l’étiquette ». Ainsi pour des sociétés riches comme les nôtres, contre toute raison écologique, est-il encore plus avantageux de gaspiller de grandes quantités d’eau ou d’énergie pour obtenir des produits à haute valeur ajoutée ou de fortes diffusions que de rechercher des alternatives durables…
Il est assez facile, voire même intuitif, de comparer actuellement les ACV de produits simples, peu transformés comme par exemple les fruits et légumes. La connaissance du lieu et de leur période naturelle de culture permet de tirer rapidement un premier bilan énergétique très instructif sur le choix entre fruits exotiques ou locaux, entre légumes de serre ou de saison, etc (voir « Du pétrole dans votre assiette » Silence n°268, mars 2001). La difficulté augmente quand le produit devient un objet manufacturé, et la complexité du système étudié se répercute évidemment sur son ACV. Il n’empêche que ces écobilans doivent devenir incontournables et présider à nos choix consuméristes.

(1) Voir Bertrand Louart, Eoliennes et choix de société dans Silence n°283, mai 2002.
(2) Au point même que dans mon vécu quotidien, mes consommations familiales de carburants (fuel, essence, gaz, électricité, bois, etc.) extrêmement réduites laissent songeurs bon nombre de visiteurs et me valent localement, une vague réputation d’écologiste extrémiste, gentil mais un peu fou…
(3) Voir Christian Maillebouis, Hélice au pays des merveilles dans Silence n°275, octobre 2001.
(4) De toute manière, pour des questions techniques liées à l’état actuel de notre environnement électrique (production centralisée, réseau de distribution, nature de la consommation, etc.) ce ratio peut difficilement dépasser les 20%.
(5) Ce pourcentage correspondra à une production éolienne d’environ 25 à 30 TWh/an. Un réacteur de 900 MW a une production annuelle nette d’environ 5,7 TWh.
(6) Voir Bella et Roger Belbéoch, Sortir du nucléaire, c’est possible avant la catastrophe, 1995, Esprit frappeur, Paris.
(7) En référence au livre de M. Wackernagel et W. Rees, Notre empreinte écologique, 1999, Les Editions Ecosociété, Montréal.
(8) Sur le modèle de celle de Cruas, soit 4 réacteurs REP de 900 MW.
(9) Une aberration en terme de cycle thermique.
(10) Voir MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, L’état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Paris, 2001, pages 120 et suivantes.
(11) Il est par exemple inadmissible que notre consommation électrique augmente régulièrement en France de 2 à 3% par an alors qu’en Suisse, pays de structures sociales et macro-économiques comparables, celle-ci a tendance à diminuer.
(12) Voir encadré n°1.
(13) Voir encadré n°2.
(14) Faute de lecture en français, voir Impactos ambientales de la produccion électrica. Analisis de Ciclo de Vida de ocho tecnologias de generacion electrica, 2000, IDAE, Madrid. Voir aussi R. Frischknecht, Ökoinventare von Energiesystemen, Grundlagen für den Ökologischen Vergleich von Energiesystemen und den Einbezung von Energiesystemen in Ökobilanzen für die Schweiz, 1996, EPF de Zurich.
(15) Durée au bout de laquelle la production d’énergie du système (par exemple l’éolienne) équivaut à celle nécessaire à sa fabrication, sa maintenance et son démantèlement. Le calcul de cette durée intègre évidemment la puissance électrique nette des systèmes, ainsi la comparaison du temps de retour énergétique d’une petite cellule photovoltaïque de quelques watts avec celui d’une centrale nucléaire est tout à fait valable et instructive.
(16) Voir www.windpower.dk et www.risoe.dk.
(17) La précision du chiffre dépend de la durée de vie de la centrale, des techniques encore très incertaines employées pour le démantèlement et de la gestion des déchets, etc.. Autant d’incertitudes qui n’autorisent de donner qu’un ordre de grandeur approximatif.
(18) Wolfgang Sachs, « La technologie, cheval de Troie du développement » dans L’écologiste n°6, hiver 2001.
(19) N’a-t-il pas une vague ressemblance avec une éolienne ?

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