Dossier Femmes, hommes, etc. France

Faire vivre la mixité à l’école, un enjeu pour l’égalité filles-garçons

Isabelle Collet

Dans l’école, garçons et filles se côtoient, s’opposent, plaisantent, se séduisent, se harcèlent et s’insultent… Travaillent-ils ensemble ? À peine. Ont-ils conscience des stéréotypes de sexes qui traversent l’école et entrainent des inégalités ? Souvent pas plus que leurs enseignant·e·s.

L’école est mixte. Comme le dit l’historien de l’éducation Antoine Prost : « De toutes les révolutions pédagogiques du siècle, la mixité est l’une des plus profondes. Elle oppose l’école de notre temps à celle de tous les siècles précédents.  » Pourtant, après quelques débats moraux, cette révolution pédagogique s’est installée sans grand bruit. Quand la mixité a finalement été rendue obligatoire par la loi Haby, en 1975, la plupart des écoles primaires étaient de fait mixtes depuis longtemps. Mais quels ont été les arguments qui ont abouti à cette mixité ?

Pour les tenants de l’Education nouvelle, mouvement pédagogique de la fin du XVIIIe siècle et précurseur des pédagogies dites alternatives, la coéducation des sexes n’est pas une question à part : elle est liée à la préoccupation de faire de l’enfant une personnalité autonome et responsable. L’école est conçue comme un laboratoire de la vie et, puisque la vie sociale est mixte, il paraît aberrant de séparer les sexes. En effet, comment apprendre à vivre ensemble en étant éduqué-e séparément et différemment ?

Ces principes n’ont pourtant pas présidé au choix de la mixité dans la majorité des écoles françaises : ce sont des raisons pragmatiques, imposées par la pénurie de locaux et d’enseignant·e·s qui ont rendu la mixité dans l’éducation si désirable. Or, si la mixité est une condition nécessaire à l’égalité des sexes, elle n’est pas suffisante. En effet, s’il est entendu que mélanger les classes sociales dans un même établissement n’est pas suffisant pour permettre la réussite scolaire de tous les élèves, juxtaposer filles et garçons dans une même salle de classe ne produit pas l’égalité entre les sexes.
Il n’est donc pas étonnant que ce soient les écoles alternatives qui mettent en place de nombreuses pratiques éducatives pour garantir l’égalité entre les sexes, puisqu’il s’agit avant tout de produire une mixité accompagnée.

Qu’apprennent les élèves à l’école ?

L’école de la République fait le pari, résolument moderne, que tous les élèves, quel que soit leur sexe ou leur origine, sont capables de s’approprier les mêmes savoirs. Mais, en marge du curriculum officiel de l’école, les filles et les garçons vivent une socialisation très différente et apprennent à être ce que la société considère comme étant une fille ou un garçon "normal·e" au regard des normes du genre. Et les vecteurs de cet apprentissage sont multiples.

Manuels scolaires et albums

Les manuels et les albums pour enfants utilisés à l’école reprennent les modèles traditionnels du féminin et du masculin, et exposent les élèves à leur insu à des conduites et des choix de vie conformes à l’image que la société a de leur sexe. Ils caricaturent un quotidien déjà stéréotypé, donnent une vision du monde dans lequel les rôles de sexes sont encore plus fermement définis que dans la réalité. Bien souvent, ils n’ont aucun souci de parité numérique, pas plus qu’ils ne s’intéressent à combattre les stéréotypes sexués en donnant des modèles variés d’identifications positives à leurs lectrices et lecteurs.
En 2012, une étude du Centre Hubertine-Auclert sur les manuels de mathématiques a montré que, sous l’apparente neutralité de la discipline, se cache un déséquilibre colossal des représentations sexuées. Les femmes scientifiques sont souvent absentes ou définies comme assistantes de leur mari (y compris Marie Curie). Dans les manuels de mathématiques de terminale, les femmes représentent 3, 2 % des personnages historiques et seulement 28 % des personnages illustrant le livre. Certes, il n’est pas imaginable d’avoir une parité parmi les figures historiques, mais il n’est pas difficile d’aller au-delà de 3 %. En outre, il n’y a pas de raison de représenter presque que trois fois plus d’hommes que de femmes dans les illustrations du quotidien… à moins de vouloir faire passer le message que la science demeure une affaire d’hommes.
Le constat est le même en 2015 : dans vingt-deux manuels de lecture du cours préparatoire, on trouve mentionnées deux femmes pour trois hommes. Dans les manuels de lecture, seules 22 % des femmes ont un métier, contre 42 % des hommes. Soixante-dix pour cent d’entre elles font la cuisine et le ménage, et elles représentent 85 % des personnes qui font les courses.
D’où l’importance d’être vigilant face à ces ouvrages, qui sont parfois les seuls livres présents dans l’environnement des enfants.

L’espace sonore de la classe

De nombreuses études convergent pour montrer que le nombre des interactions entre les enseignant·e·s et les garçons en classe est supérieur au nombre d’interactions avec les filles .
Si, en classes primaires, ces interactions semblent proches de l’équilibre sur le plan quantitatif, les filles restent néanmoins à l’initiative de moins d’interactions spontanées que les garçons. En revanche, elles lèvent le doigt. Dans l’enseignement secondaire, il y a deux fois plus d’interactions entre l’enseignant·e et les garçons qu’entre l’enseignant·e et les filles, quel que soit le sexe de la personne qui enseigne. La nature de ces interactions n’est pas non plus la même. Les garçons sont interpellés pour faire avancer le cours, et les filles pour faire un rappel du cours précédent. En effet, les enseignant·e·s veulent s’attacher l’attention des garçons, perçus comme plus perturbateurs, et font plus confiance aux filles pour avoir appris leur leçon. Ainsi, deux rapports au savoir différents se construisent : les garçons pour créer le savoir nouveau, les filles pour le transmettre… Un phénomène que l’on retrouve plus tard dans le monde professionnel.

La cour de récréation

Si les garçons occupent davantage l’espace sonore de la classe, ils occupent également davantage l’espace de la cour de récréation. Certes, la cour est un espace de liberté pour les élèves mais, sans aucune régulation de la part des enseignant·e·s, c’est surtout un espace dans lequel on constate que la mixité n’a rien de spontané. De fait, la très grande majorité de l’espace est occupée par les garçons, les filles restant au bord du terrain à les regarder jouer au foot. Or, instaurer des règles pendant la récréation comporte de nombreux avantages : obtenir un retour en classe plus calme, faire prendre conscience aux filles et aux garçons des inégalités en termes de partage l’espace, et permettre aux garçons de découvrir qu’il y a d’autres jeux que le football… voire redonner une place aux garçons qui n’aiment pas le foot ou qui parfois, auraient envie d’autre chose sans oser le proposer.

Finalement, que faire de la mixité ?

Telle une comète, l’attaque de la mixité réapparait périodiquement. Elle serait nuisible aux filles, en butte aux agressions et insultes des garçons, et provoquerait une baisse de leur sentiment de compétence, en particulier dans les matières scientifiques. Mais elle serait aussi dommageable pour les garçons, en échec dans cet environnement aux valeurs féminines que serait l’école, et perturbés, une fois adolescents, par la présence des filles.
Les valeurs de l’école ne sont ni féminines, ni masculines : l’apprentissage des savoirs, du vivre-ensemble et du respect des règles de classe sont les valeurs de l’école de la République. Néanmoins, il ne faut pas nier l’existence des écueils de la mixité, d’autant plus qu’ils ont été massivement passés sous silence, au prétexte d’un élève "universel", c’est-à-dire sans classe sociale, sans sexe, sans origine. Tous égaux dans l’idéal républicain… principe égalitariste puissant, mais qu’il ne suffit pas d’invoquer pour qu’il advienne.
La mixité fonctionne-t-elle ? Permet-elle l’égalité des sexes ? Probablement, mais pour le savoir, il faudrait réellement l’accompagner dans les classes. Comme elle ne va pas de soi, cela signifie aussi que dans certaines situations difficiles, et en particulier pour l’éducation sexuelle, un temps non mixte peut être souhaitable, avant une mise en commun. Les multiples dispositifs présentés ici par les écoles alternatives sont autant de solutions permettant enfin de faire vivre la mixité dans le quotidien de l’école. Au moment où l’on célèbre les trente ans de la loi Haby, il est temps de les généraliser.
Malheureusement, sans une formation des enseignant·e·s à une pédagogie de l’égalité, ces initiatives risquent fort de rester isolées. A Genève, je forme tous les enseigant·e·s, du primaire comme du secondaire, à la pédagogie de l’égalité entre les sexes de manière obligatoire et évaluée. Une telle formation avait été rendue obligatoire en France par le Plan de refondation de l’école de la République. Dans les faits, bien peu d’écoles supérieures du professorat et d’éducation la mettent en place.

Isabelle Collet
Maîtresse d’enseignement et de recherche
Université de Genève

Pour en savoir plus
• Les livres de la collection « Egale à Egal », aux éditions Belin, en particulier :
- L’Ecole apprend-elle l’égalité des sexes ?, Isabelle Collet, 2016
- Les Femmes peuvent-elles être de grands hommes ?, Christine Detrez, 2016
-  Les Métiers ont-ils un sexe ?, Françoise Vouillot, 2014.

• Pour répondre aux questions des parents et professionnel-le-s de l’enfance sur l’égalité filles-garçons : www.aussi.ch

• Canopé : les outils de l’Education nationale pour l’égalité filles-garçons :
www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons.html

• L’Egalithèque du centre Hubertine-Auclert :
www.centre-hubertine-auclert.fr/egalitheque

• Genrimages, par le Centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir, pour aborder la thématique de l’égalité femmes-hommes avec des élèves, à partir d’images : www.genrimages.org

Et de nombreux textes à disposition sur le site : www.isabelle-collet.net

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