Dossier Femmes, hommes, etc. France

Agir au niveau de l’éducation ?

Michel Bernard

La question du genre est de plus en plus évoquée dans les programmes de l’Education nationale. Nous avons interrogé ceux et celles qui agissent dans le domaine de l’éducation alternative sur leurs pratiques en ce domaine.

Silence a contacté seize structures éducatives. Les huit qui nous ont répondu (1) sont toutes mixtes, certaines depuis fort longtemps puisque les écoles Steiner le sont depuis le début, en 1919 (ce qui, à l’époque, était révolutionnaire !).
Dans ces établissements, il y a sensiblement autant de garçons que de filles. Le Lycée expérimental de Saint-Nazaire est le seul à noter une différence : « Il y a plus de garçons inscrits et plus de filles présentes, cherchez l’erreur. »

Représentations des filles et des garçons dans les ouvrages scolaires

Plusieurs structures ont créé leur propre matériel pédagogique et y ont intégré la question de la parité. L’attention est toutefois moins stricte sur les livres présents dans la bibliothèque.
Le collège Clisthène de Bordeaux, qui utilise des ouvrages classiques, nous signale la réaction d’enseignants face à des représentations jugées sexistes. Un professeur de français a organisé des visites de bibliothèques municipales avec ses élèves pour dénicher des ouvrages qui renversent les représentations (héroïne féminine, père au foyer…).
Le lycée expérimental de Saint-Nazaire n’utilise pratiquement pas de livres scolaires mais favorise la presse, les documentaires, les romans… et met en lumière les représentations inéquitables qu’on peut y trouver.
Pour l’Institut Steiner, les ouvrages doivent, dans un premier temps, favoriser ce qui est universel, ce qui rassemble, puis permettre la découverte des différences, tout en faisant attention à ce que ces dernières ne soient pas source de dévalorisation.
Les Enfants d’abord, association d’instruction à domicile, ne semble pas s’être posé la question des livres que les enfants trouvent chez leurs parents ou chez d’autres parents lors de travaux communs ou d’échanges entre foyers.

Les structures qui nous ont répondu

Les quatre premières structure sont publiques, les quatre autres privées.
• Le Centre expérimental pédagogique maritime en Oléron (Charente-Maritime), 100 élèves de 14 à 23 ans
• Le collège Clisthène de Bordeaux (Gironde), 150 élèves
• L’école Decroly de Saint-Mandé (Val-de-Marne)
• Le lycée expérimental de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), 150 élèves
• L’Institut de formation Steiner de Chatou (Yvelines) qui forme le personnel enseignant, 3000 élèves répartis dans 20 établissements de 20 à 450 élèves
• Les Enfants d’abord, réseau d’enfants éduqués par leurs parents
• L’Acepp-Rhône, Association des collectifs enfants parents professionnels qui fédère les crèches parentales
• La Fédération des écoles basques Ikastola (Pyrénées-Atlantiques), 3500 élèves dans 30 maternelles et primaires, 3 collèges et un lycée

La cour de récréation comme lieu d’inégalités ?

Les écoles basques Ikastola sont très vigilantes sur ce qui se passe pendant les récréations, non seulement sur les questions de genre, mais également d’âge. Les encadrants essaient de favoriser les jeux mixtes. Si certains jeux nécessitent plus d’espace, on veille à ce qu’il soit cantonné dans une durée précise. L’école Decroly a la même démarche.
Disposant de terrains de football et de basket, le collège Clisthène de Bordeaux constate une occupation de la cour et du terrain de basket assez équilibrée. Il n’en est pas de même pour le terrain de foot, très masculin.
Cette question du foot revient à plusieurs reprises, et certains en sont arrivés à l’interdire (2) ou à le limiter en imposant des jours sans foot, comme l’école Decroly. Celle-ci fait remarquer que cela libère de la place pour les filles… mais aussi pour des garçons que le foot n’intéresse pas.

Toujours sexistes ?

En décembre 2003, Silence publiait un dossier ayant pour titre « Toujours sexistes ? », qui présentait notamment une étude de Marie-Claude Hurtig (CNRS, Université Lyon 2).
Celle-ci montrait, à travers plusieurs expériences de psychologie sociale, comment nos automatismes mentaux bloquent les tentatives pour arriver à une égalité de genre.
Ses recherches démontrent :
• une asymétrie d’identification : quand on montre une image, on précise plus souvent d’abord qu’il s’agit d’une femme, alors que pour un homme, on passe directement à d’autres caractéristiques ;
• une asymétrie de référence : l’homme est le sexe normal (il), la femme est perçue comme une déviance (elle) : quand on demande à des enfants de comparer un homme et une femme sur une photo, la femme est décrite plus souvent que l’homme ;
• une asymétrie d’homogénéité : quand on dit « femmes » on pense une plus grande homogénéité que quand on dit « hommes ».
Les expériences qui mettent en avant ces résultats sont menées depuis les années 1970 et montrent malheureusement peu d’évolution.
L’article complet peut être téléchargé sur notre site internet : Silence no 304, pp. 5 à 8.

Activités non-mixtes

Dans les écoles Steiner, toutes les activités sont mixtes (tricot, travaux forestiers, ferronnerie, sport…). Il en est de même dans l’école Decroly (bricolage, couture, cuisine…).
L’Institut Steiner remarque que certaines activités tendent vers une non-mixité, comme la chorale, où il y a plus de garçons dans les voix basses et de filles dans les voix hautes. Mais si des répétitions se font séparément, c’est pour mieux chanter ensemble ensuite.
Au collège Clisthène de Bordeaux, à la demande des élèves, un temps spécifique non mixte a été mis en place pour aborder les questions liées à la sexualité. Ce sujet a aussi conduit le Lycée expérimental de Saint-Nazaire à introduire des temps non mixtes. Les élèves ont également étendu cette décision à des temps de réflexion sur les rapports hommes-femmes et sur le féminisme. Mais le lycée a demandé que les conclusions de ces débats non mixtes soient ensuite restituées à tous.

Des jouets sexistes

Le dossier du no 304 de Silence présentait un article sur les différences de genre dans les jouets… Treize ans plus tard, c’est toujours d’actualité. Malgré des campagnes répétées sur le sujet, la plupart des magasins de jouets continuent à présenter leurs catalogues avec des pages « bleues » et des pages « roses ». La nouvelle génération qui sortira des lieux d’enseignements que nous avons interrogés sera-t-elle plus efficace pour faire avancer la situation ?

La question du genre pendant les cours

Dès le plus jeune âge, les crèches parentales, membres de l’Association des collectifs enfants parents professionnels (Acepp), essaient de sensibiliser les enfants aux différences entre père et mère, au rôle de la famille, en prenant garde d’éviter les stéréotypes, non seulement à propos du genre, mais également à propos de la diversité. Le respect et la compréhension sont mis en avant.
A l’école Decroly, lors des classes vertes, en CE1 et CE2, il est possible d’avoir des dortoirs mixtes : cela fait l’objet d’un débat avec les élèves, qui font ensuite leur choix.
Au collège Clisthène de Bordeaux, la question de la parité est abordée notamment à travers le théâtre et des débats autour des métiers, de la représentation féminine dans les instances politiques… Des spectacles ont pour thème la parité : l’humour permet de faire ressortir des stéréotypes et de les dénoncer.
Pour les plus grands, dans les lycées expérimentaux, la question de la parité est présente dans de nombreuses disciplines. Au Centre expérimental pédagogique maritime en Oléron, enseignants et élèves abordent la question de la parité lors d’un débat hebdomadaire d’une heure. En arts plastiques, des campagnes ont été faites pour produire des affiches en faveur de la parité. A Saint-Nazaire, de nombreux ateliers ont été organisés autour de cette question, à la demande des élèves. Le sujet est aussi souvent abordé pendant les réunions de gestion : même ici, le constat est que, en fonctionnement autogéré, les filles sont plus responsables que les garçons et beaucoup plus solides en cas de conflit !

Le sexisme dans Silence

En 2003, nous avons pointé les différences de présence des hommes et des femmes dans la revue. Avons-nous évolué vers plus d’égalité, treize ans après ?
Au cours des six premiers mois de 2016, nous avons une quasi-égalité sur les couvertures, à condition de ne pas compter les dix policiers du numéro de juin (en 2003, cette égalité était déjà respectée). Cela se gâte au niveau des images intérieures : 352 hommes (64 %) et 195 femmes (36 %). En 2003, c’était 69 % et 31 %. Nous avons comme handicap que les personnes politiques sont encore majoritairement masculines, et que les caricatures se moquent donc plus d’hommes que de femmes. Autre inconvénient : notre position antimilitariste nous fait critiquer un corps d’Etat essentiellement masculin (une photo du défilé du 14 Juillet, dans le numéro d’avril 2016, montre à elle seule plusieurs dizaines d’hommes !).
Concernant les articles, on compte 79 signatures masculines (66 %) et 40 féminines (34 %) En 2003, c’était 74 % et 26 %. Le fait que les deux salariés de rédaction et les deux stagiaires présents sur cette période soient tous des hommes contribue pour une forte part à cette inégalité. Même pour l’article « 3 questions à… » , où nous sommes libres de choisir qui interroger, l’égalité n’est pas atteinte (5 hommes et 3 femmes en six mois).
Cela évolue-t-il dans le domaine de l’édition ? Nous avons encore sensiblement le même rapport de genre : 177 auteurs (67 %) contre 86 autrices (33 %). En 2003, c’était 71 % et 29 %. Il y a une faible progression, d’autant plus que l’augmentation du nombre de femmes est essentiellement due au développement de notre rubrique « Jeunesse », où les femmes sont nombreuses. On notera une parité sur le choix des livres du mois.
Enfin, qui s’exprime dans le courrier ? 25 lecteurs (56 %) et 19 lectrices (44 %). En 2003, c’était 77 % et 23 %.
En conclusion, les femmes ont légèrement progressé dans la revue, mais nous sommes encore loin de l’égalité. La progression la plus probante est dans le courrier : alors que nous comptons autant d’abonnés que d’abonnées, ces dernières semblent prendre de plus en plus la plume.

Du rôle des parents

Si l’essentiel du travail d’éducation est laissé aux parents dans l’association Les Enfants d’abord, cette structure insiste surtout sur la notion de coopération, par opposition à la compétition.
Pour les crèches parentales, bien qu’il y ait un encadrement professionnel, la place des parents est aussi très importante. Des débats et des formations abordent le rôle des parents, la place du père et de la mère, la manière de communiquer avec les enfants, la capacité à accueillir la diversité, ce qu’est une famille…
A Oléron, chaque enfant dispose d’un-e tuteur-trice en liaison avec les parents. En cas de problème, qu’il s’agisse de sexisme ou non, on organise des rencontres avec les parents. Le collège Clisthène de Bordeaux fonctionne de même.
Le lycée expérimental de Saint-Nazaire a adopté une démarche différente : pour favoriser l’autonomie, il cherche à éloigner les enfants de l’autorité parentale. Les parents peuvent leur rendre visite, mais ils restent éloignés des décisions qui se prennent entre profs et élèves.
Dans les écoles basques, du fait de leur engagement « militant », les parents notent peu de comportements sexistes. Si la question du genre n’a pas fait l’objet de réunions spécifiques, elle est abordée à travers d’autres thèmes comme la communication non violente, la fratrie, l’agressivité…

Du rôle des encadrants

Les crèches parentales ont mis en place un « totem » pédagogique, outil qui permet aux parents comme aux encadrants de disposer de ressources pour promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons (3). Celui-ci, qui permet également à chacun-e de prendre conscience de ses propres stéréotypes, aide à les déconstruire.
Dans les lycées autogérés, lycéens et enseignants assurent une bonne partie des tâches administratives (à l’exception du suivi médico-social). Le partage du travail entre tous est l’occasion d’aborder la question du genre. Le Centre expérimental pédagogique maritime en Oléron signale que les intervenants pour le suivi médico-social sont une assistante sociale et une infirmière… ce qui mériterait un débat ! Le lycée de Saint-Nazaire veille à ce que les tâches soient partagées équitablement entre enseignant-es et enseigné-es des deux sexes.
Au collège Clisthène de Bordeaux, les élèves sont incités à participer à l’organisation des études lors de réunions qui se tiennent entre midi et 14 h. Il a été constaté que ce sont majoritairement des filles qui y assistent ; par conséquent, elles se voient confier plus de rôles d’arbitrages dans l’école que les garçons.
L’Institut Steiner signale que, malgré la volonté des écoles d’avoir une mixité intégrale depuis ses origines et en dépit des efforts au niveau du recrutement pour les formations, il y a une très large majorité de femmes parmi les enseignants. Dans les écoles Steiner, les parents participent fortement aux tâches non scolaires (cantines, entretien…) sans qu’une distinction soit faite entre les sexes.

Le choix du neutre ?

La Suède est l’un des pays les plus respectueux de la parité homme-femme. Le gouvernement actuel compte plus de femmes que d’hommes, 64 % des postes de responsabilités dans les collectivités régionales et locales sont occupés par des femmes. 40 % des chefs d’entreprises sont des femmes.
Pour faire évoluer les choses, en 1966, le journaliste Rolf Dunâs a suggéré d’introduire un pronom neutre, « hen », qui évite le recours à « han eller hon » soit « il ou elle ». Son usage s’est peu à peu développé et a été accepté par l’Académie suédoise en juillet 2014.
C’est là une piste possible pour les autres pays.
En France, certain-es ont introduit le pronom « ille ».

D’autres initiatives

Dans les crèches parentales de l’Acepp, un temps de réflexion a été mis en place avant Noël pour discuter du choix des cadeaux, de l’influence de la publicité, des jouets qui poussent à la compétition…
Au collège Clisthène de Bordeaux, un débat a eu lieu sur la représentation des filles dans les SMS.
Au lycée expérimental de Saint-Nazaire, des petits déjeuners et des rencontres avec le Planning familial ont été organisés pour débattre de la sexualité.
Dans les écoles basques, les parents d’élèves ont demandé une modification des fiches d’inscription : « père » et « mère » ont été remplacés par « parent 1 » et « parent 2 ».

Que ce soit dans les établissements publics ou dans le privé, la question du genre est donc maintenant bien présente. Reste que des questions ressortent à plusieurs reprises : la masculinisation de certains sports comme le football (lié à une certaine forme de violence), la plus grande responsabilisation des filles dans les établissements autogérés, la plus grande présence des femmes dans l’enseignement…
Certaines pédagogies existent depuis un siècle (4), les lycées expérimentaux sont nés en 1982… d’autres expériences sont plus récentes. Ces démarches alternatives semblent bien engagées sur la question de la parité. Reste à voir comment cela peut ensemencer l’ensemble de la société.

Michel Bernard

(1) Nous présentons ici les résultats des huit établissements qui nous ont répondu. N’ont pas donné suite à nos demandes le Lycée autogéré de Paris, l’école Vitruve de Paris, l’ICEM (pédagogie Freinet), Montessori France, les écoles régionales Calendreta (occitan), Diwan (breton), Bressola (catalan), l’école Colibri des Amanins.
(2) Voir également le reportage sur l’école Bel-Air, où le foot a été finalement interdit car il était source de violences (Silence no 447, été 2016).
(3) Voir www.acepp.asso.fr/90-Ouiti-un-outil-itinerant-pour
(4) Elles sont nombreuses à avoir vu le jour après les débats sur la laïcité et l’école obligatoire, au début du 20e siècle.

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