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Bernard Collot et l’école du troisième type

Si l’école a pour mission de préparer les citoyens de demain, alors quelle école souhaitons-nous pour quel monde à venir ? Bernard Collot, aujourd’hui retraité de l’éducation nationale, a expérimenté pendant plus de trente ans une approche « tâtonnante » qu’il a aujourd’hui théorisée sous le nom d’ « école du 3e type ».

À l’école de Moussac (Gard), vous avez été enseignant durant de nombreuses années dans une classe multi-âges un peu particulière... Comment fonctionnait l’école ?
Toute l’activité dépendait des projets des enfants, quels qu’ils soient. La clef de voûte de la structure était la réunion, seul moment institué aux alentours de 10h30. Elle était à la fois place du village, agora grecque, conférence de rédaction… C’était là que tout se discutait, s’auto-organisait. Les enfants allaient ensuite dans les ateliers permanents qui permettaient de réaliser leurs projets, ou suggéraient des activités. Aller rêvasser sur la chaise-longue au bord de la mare était bien considéré… comme une activité !

Quel était le rôle des parents dans le fonctionnement de l’école ?
À Moussac, avant la première rentrée j’ai réuni les parents, je leur ai expliqué que nous nous réunirions au moins une fois par mois pour discuter, faire une succession de bilans. Nous nous étions mis d’accord sur le seul objectif validant ou invalidant la stratégie éducative mise en œuvre : que tous les enfants suivent aussi bien que les autres au collège.
Et c’est ainsi, que de réunions en réunions, nous sommes arrivés à une école du 3e type que personne, ni eux, ni moi, ni les enfants n’avions imaginée ! Les dernières années, c’était pratiquement tous les quinze jours qu’ils se retrouvaient dans l’école, avec ou sans moi, autour d’un café ou d’une tarte, avec leurs enfants, comme on va veiller chez des voisins. L’école leur appartenait à eux aussi. Elle leur était ouverte comme pour les enfants jours et nuits, même pendant les vacances. J’ajoute qu’ils venaient dans l’école pendant le temps scolaire, soit pour apporter l’aide de leurs propres savoirs (le jardinier, le mécanicien, le musicien, le mordu d’électronique, la joueuse d’échecs…), soit pour faire au milieu des enfants ce qu’ils ne pouvaient faire ou trouver chez eux (très souvent il y avait quelqu’un devant un ordinateur libre tapant son CV, venant monter une vidéo de vacances…), soit simplement venant discuter.

Comment définiriez-vous votre approche : l’éducation du 3e type ?
Elle est simple : on sait aujourd’hui que les réseaux neuronaux ou hormonaux se construisent dans l’interaction continue avec les informations perçues de l’environnement et dans l’interrelation. Il n’y a qu’à se remémorer comment tous les enfants apprennent à parler. Ce que leur cerveau a réussi à construire en deux ou trois ans, il le fera tout aussi facilement pour tous les autres langages dont il aura besoin, à condition qu’il soit dans un environnement riche et surtout qu’il puisse y agir, l’explorer et s’y confronter librement, jouir de toutes les découvertes qu’il peut y faire, de tous les pouvoirs qu’il acquière ainsi.
Comme l’enfant à sa naissance débaroule dans un monde où l’on parle, où on lui parle, les petits qui entraient pour la première fois dans mon école en découvraient d’autres qui lisaient et écrivaient pour mille raisons, d’autres enfants l’œil rivé à l’oculaire d’un microscope, ou dans le jardin taillant des tomates, ou encore à l’atelier musique…

Le rôle de l’enseignant est-il d’apprendre à se questionner ?
Je dirais qu’il faut surtout ne pas empêcher les enfants de se questionner ! Toutes les hypothèses qu’ils émettaient étaient considérées comme valables, mais chacune était questionnée, confrontée à d’autres hypothèses, observée pour être confirmée ou infirmée soit par l’expérience de pensée comme disent les chercheurs, soit par des constats, des essais, des expériences…

Accordiez-vous une importance particulière à l’expression des émotions et des oppositions potentielles entre élèves ?
L’affect est le principal moteur de toutes nos actions. Il suffit qu’il puisse s’exprimer de mille façons (une parole, un dessin, une peinture, une musique, un écrit…), qu’il puisse aussi oser se montrer dans le groupe, à qui on fait confiance, et tous les possibles sont ouverts, y compris celui de se libérer de ce qui pèse, même quand c’est dans l’inconscient.
Ce qui n’existe plus dans une école du 3e type, c’est la concurrence et la compétition. Il n’y a plus besoin d’elles pour être reconnu et trouver sa place, il n’y a plus besoin d’elles pour être motivé. Ce qui motive, c’est ce que font les autres et le plaisir qu’ils y trouvent.

Comment fonctionnent les prises de décisions ?

Les prises de décisions, lorsqu’il y en avait besoin, étaient prises pendant la réunion. Ce pouvait être pour améliorer l’organisation, faciliter des projets… ou régler un dysfonctionnement. Si, par exemple, « un petit embête les grands dans la cour », le problème n’était pas celui du comportement du petit mais comment faire pour que ledit petit puisse soit avoir son espace, soit participer avec les grands. Pas besoin de sanctions, c’est le dysfonctionnement qui est la sanction (plus personne ne peut jouer !). Il y avait rarement de votes, c’était toujours la recherche du consensus qui ne lèse aucune minorité et reconnaît chacun.

Comment voyez-vous l’erreur ?
Elle fait partie du tâtonnement expérimental continu de tout être vivant. Il n’y a pas de juste ou de faux, il n’y a que les effets des essais. Je n’employais jamais « tu t’es trompé », je disais « je ne comprends pas, explique-moi », je renversais l’ordre habituel enseignant-enseigné, c’est l’enfant qui essayait de me faire rentrer dans sa propre représentation, j’essayais de le comprendre, l’effort était partagé, nous étions dans une relation d’égalité et j’étais fréquemment surpris par les processus qui l’avaient conduit à telle ou telle représentation. Lorsque je n’arrivais pas à le dépanner malgré mon bagage pédagogique, c’était un autre enfant qui le faisait beaucoup mieux que moi avec sa propre expérience d’un apprentissage.

Propos recueillis par Eva Timone-Martinez

Cet entretien est issu d’une recherche plus complète sur le renouveau éducatif sous forme de reportages radiophoniques à retrouver sur la web-radio Hapchot (www.hapchotwebradio.com) dans la rubrique « Inconnue à cette adresse ».

Critiques de l’éducation nationale

« Le point essentiel me semble être celui de sa finalité qui devra cesser d’être étatique, fabriquer tel ou tel type de futurs citoyens, salariés… chômeurs. L’école ne doit pas avoir comme finalité d’alimenter la machine économique, ce qu’elle n’arrive d’ailleurs même plus à faire. »

Travailler avec les élèves qui ont des difficultés

« Déjà lorsqu’on transforme »difficultés« en »différences« cela change tout. La difficulté n’est toujours que par rapport à une demande extrinsèque (celle de l’institution). Elle est aussi quand l’enfant doit s’adapter à une méthode d’apprentissage qui lui est imposée et qui ne convient pas à son propre fonctionnement cérébral. Exemple, les problèmes posés par tous les »dys…« Lorsque cette demande disparaît, la difficulté disparaît avec elle, ce d’autant que l’enfant n’est pas contraint d’atteindre tel niveau de langage à tel moment. »

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