Article Nord-Sud Tourisme

Rencontre avec des Mapuche

Juliette Fortunier

À l’automne 2018, l’association Départs a organisé la venue d’une délégation de Mapuche afin d’échanger sur la ruralité entre France et Chili. Le but de cette tournée : faire connaître le peuple mapuche et les enjeux et luttes qui le traversent.

Claudia est enseignante bilingue espagnol et mapudungun en école maternelle, à Curarrehue. Il y a 10 ans, une société espagnole a souhaité construire un barrage hydroélectrique près de cette commune qui compte une vingtaine de communautés mapuche, contre la volonté de celles-ci. Elles se sont organisées afin de s’opposer au projet. (1)

La lutte contre les mégaprojets : la résistance multiforme et « modèle » de Curarrehue

L’association Observatorio Ciudadano de Temuco a été sollicitée afin de réaliser des études d’impact indépendantes. « Ils ont fait une recherche en anthropologie, en écologie et ont vu que sur le périmètre de la centrale il y a des sites cérémonials, des plantes médicinales, la forêt primaire et d’anciens cimetières mapuche ». Enfin, l’accès à l’eau pour la consommation et l’irrigation, garantie par des « droits d’eau », aurait été bafoué : il a fallu 3 ans de travail pour mobiliser les articles de lois favorables aux communautés.
En parallèle, la lutte sur le terrain s’est traduite par des manifestations, des blocages de routes, lorsque l’entreprise a tenté de venir avec ses machines pour creuser. La lutte est restée pacifique. Ailleurs au Chili, les revendications pour la récupération des terres spoliées aux Mapuche ont provoqué une réponse violente et militarisée de la part de l’État, jusqu’à la création d’un « Commando Jungle ». Plusieurs Mapuche ont été tué·es par balle.
« Après ces 9 années de luttes je considère que le projet ne se fera pas, c’est trop long pour l’entreprise. Malgré l’aval des gouvernements successifs, c’est des projets qui valent des millions, donc ils préfèrent chercher des cours d’eau sur des terrains qui appartiennent à des colons ou à des multinationales ». La lutte de Curarrehue a inspiré d’autres communautés qui les sollicitent afin de profiter de leur expérience réussie. Cependant, la commune est toujours concernée par plus de 20 projets d’entreprises souvent étrangères : carrières, salmoniculture, géothermie…

Une économie raisonnée, diversifiée par et pour la communauté.

Traditionnellement, les communautés vivent de l’agriculture vivrière, associant maraîchage et pastoralisme. Depuis 5 ans, elles développent des itinéraires touristiques afin de capter une clientèle urbaine ou étrangère (en lien entre autres avec l’association Départs) et proposent de l’éco-volontariat, des nuitées chez l’habitant·e. (2) Ce type d’activité repose sur les lacs, la richesse de la faune et flore, des sentiers de randonnée, d’où l’importance de préserver ce milieu sauvage très apprécié entre autres des Européen·nes. « C’est un tourisme collaboratif, à petite échelle, mené par les habitant·es qui conservent l’activité agricole ».
« Des jeunes de la communauté partent faire des études en ville : certain·es y trouvent un emploi, mais continuent à garder un lien fort avec la communauté et fournissent un appui juridique ou technique
 ». Dans un contexte de déprise rurale, où les taux d’alcoolisme et de suicide sont très élevés au sein des communautés rurales et des Mapuche urbain·es, Curarrehue voit revenir certain·es de ses diplômé·es pour travailler et vivre au pays. « C’est notre prochain défi, que les jeunes deviennent avocats, médecins, qu’ils se forment et qu’on puisse avoir des connaissances pour se défendre. Sinon il ne va rester que les anciens ».
Claudia trouve que ce voyage en France est très riche. Le développement de la valorisation des produits agricoles en circuits courts lui parle particulièrement : « Les gens s’organisent, et réussissent à générer leur propre revenu, indépendamment des grandes surfaces. Parmi eux, il y a beaucoup de jeunes  »

Tisser l’identité mapuche

Isabel est tisserande, elle habite près de Temuco. Aujourd’hui citadine, elle est issue d’une famille paysanne : elle a décidé de venir en ville, car la terre héritée de ses parents ne suffisait pas pour tous les frères et sœurs. Et comme souvent, les plantations d’eucalyptus voisines ont asséché leurs terres.
Elle a appris à tisser la laine avec sa mère et sa grand-mère. Aujourd’hui, elle préside un groupement de 17 femmes qui échangent des savoirs, des techniques, et qui se regroupent pour vendre au marché. Elle expose au centre culturel de La Moneda, fait des formations dans les hôpitaux psychiatriques, écoles et collèges : c’est un prétexte pour parler de la cosmovision mapuche via les dessins présents sur les tissages, d’évoquer des termes en mapudungun sur la faune, la flore, les objets. (3)
Les tissages sont traditionnellement colorés avec des teintures végétales. Or l’environnement de l’Araucanie a subi des bouleversements avec l’exploitation forestière et agricole à grande échelle : les plantes utilisées jadis ne sont plus forcément présentes. Par ailleurs, faute de transmission, certaines recettes ont été perdues. « J’explore, encore et encore, et je retrouve les couleurs qu’on utilisait avant, avec de nouvelles recettes issues des plantes du jardin ou légumes du marché. C’est un travail de recherche, je laisse tout par écrit : parce que s’il m’a fallu 5 à 10 ans pour retrouver une couleur, imagine ensuite ! ».
« Il y a des dessins complexes que plus personne ne tisse, car ils prennent du temps. Je les réalise pour que la prochaine génération puisse les retrouver […]. Mon idée est toujours de »semer« des graines ». Un projet de livre est en cours. (4) Apprendre quelque chose de nouveau permet selon Isabel de retrouver un peu de confiance et d’autonomie ; que les tissages soient réussis ou non d’ailleurs !

Juliette Fortunier
Bergère, Juliette Fortunier a vécu au Chili et travaillé sur les questions de développement paysan mapuche au sein de l’association El Canelo de Nos.

Parmi les 4 personnes de la délégation, nous avons rencontré Claudia Alejandra Conequir Panguilef, originaire d’une commune de montagne de la région des Lacs, au sud du Chili, proche de la frontière argentine ; et Isabel del Transito Currivil Nahuel qui habite dans les environs de Temuco, la capitale de l’Araucanie.


Mapuche, avec ou sans « s » au pluriel ? Il semble que les deux orthographes soient possibles. Nous avons donc choisi dans cet article de l’écrire de manière invariable, sans « s ».

Pour Silence il n’y a pas de tourisme « écoresponsable ». En effet ce tourisme implique, malgré toutes les précautions prises, un trajet en avion pour quelques semaines sur place, et il génère des conséquences socio-culturelles très problématiques. Voir Silence n° 424 (« Lent, léger... le voyage »), n°324 (« Voyages au pays de chez soi »), n°283 (« Routes et déroutes du voyage »).

(1) En effet, sur le plan juridique, des obligations de consultation des peuples indigènes existent via la Loi Indigène de 1992 et la Convention no 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux. Elles ont bien été menées par l’entreprise, mais sans effet juridiquement contraignant sur l’implantation de la centrale, et sans conclusions amenant à une modification du projet…
(2) Association Départs, enclos de la plaine, 07170 Villeneuve de Berg, departs-voyages-solidaires.com.
(3) Elle intervient à la place des cours de religion. « La religion catholique éloigne les gens de leur culture mapuche, moi je suis vue comme un ovni, car je m’y intéresse ».
(4) « Au Chili, beaucoup de femmes de plus de 50 ans sont dépressives, suicidaires, car elles n’ont plus l’impression d’être utiles. Les jeunes femmes sont parfois très fragiles, elles ne savent rien faire, sont cantonnées chez elles et subissent parfois des violences. Moi je leur dis, tu vaux beaucoup, le fait que tu aies un fils et que tu lui laves ses vêtements à cet ingrat… ».

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer