Dossier Monde Politique

Islande : l’adoption de la constitution citoyenne patine

Lionel Cordier

Dans notre numéro 426 (septembre 2014) consacré à la démocratie, un article de Lionel Cordier abordait le processus constituant qui avait vu le jour en Islande. Que s’est-il passé depuis ?

Revenons d’abord sur les faits : suite au choc produit par la crise financière de 2008 sur l’économie, mais également sur les consciences, les Islandais-es avaient obtenu à coup de cuillers en bois et de casseroles la démission du gouvernement conservateur de l’époque. Ils avaient ensuite obtenu de la majorité social-démocrate et écologiste qui lui avait succédé l’organisation d’un processus constituant (1).

Un projet constitutionnel qui peine à aboutir

Le projet constitutionnel qui en est ressorti a ensuite été validé par référendum en octobre 2012 (2). Seulement, pour être définitivement adopté, le projet doit, selon la Constitution encore en vigueur, être ratifié par le Parlement. Or les député-e-s de l’opposition, peu enthousiasmé-e-s par le projet constitutionnel (3), ont réussi à retarder le processus jusqu’aux élections de 2013 qui a vu les conservateurs revenir au pouvoir. A cette époque, les tensions de 2008 sont déjà loin, et la population islandaise est plus concernée par l’endettement immobilier des ménages que par la révision de la Constitution.

A nouveau scandale, nouveau souffle pour la constitution ?

Mais voilà qu’en avril 2016 éclate le scandale des Panama Papers, dans lequel le Premier ministre est mis en cause. Les Islandais-es, qui ont maintenant un peu d’entrainement, se réunissent massivement pour protester : 26 000 personnes en 24 h. Certains observateurs y verront, rapportée à la population, la protestation la plus massive du monde. Comme l’analyse une avocate ayant participé à l’écriture de la Constitution en 2011 (4), la nouveauté de cette mobilisation est qu’elle porte sur des enjeux éthiques, là où les mobilisations portent habituellement sur des enjeux sociaux concrets.

Une nouvelle fois, le Premier ministre a été poussé à la démission, et des élections anticipées ont été organisées en octobre 2016. Et la question de la ratification du projet constitutionnel est revenue dans le débat. Plusieurs partis d’opposition de gauche ont réaffirmé leur soutien au nouveau texte, mais seul le Parti Pirate a clairement fait de sa ratification sa priorité.

Après avoir été crédité de près d’un tiers d’intentions de vote dans les sondages d’opinion, le parti pirate est finalement arrivé en troisième position (seulement), avec 14 % des voix, derrière le Parti de l’indépendance et la gauche écologiste. La tâche de former un gouvernement a successivement incombé à ces trois formations, mais n’ayant pas abouti, elle est revenue à la première qui a finalement réussi à former une coalition à droite en janvier 2017.

Le processus constituant était parti des élans révolutionnaires consécutifs à la crise financière de 2008. Il est revenu sur la table avec un nouveau scandale financier, d’ordre éthique. L’issue des élections a finalement déçu les espoirs des observateurs qui prévoyaient une victoire du Parti Pirate et se préparaient ainsi à voir la nouvelle constitution enfin adoptée. Les prochains mois diront si l’opposition, unanime au moins dans sa volonté affichée de faire aboutir le texte, mais dont seul le Parti Pirate fait réellement une priorité, trouvera le moyen de faire plier la fragile majorité gouvernementale à cette fin (5). L’intérêt des Islandais-es pour la nouvelle constitution retombera-t-il de nouveau ?

Un objet démocratique non identifié

Si l’expérience du processus constituant est largement perçue comme « exotique » et à ce titre idéalisée à l’étranger, au même titre que peuvent l’être la vie politique et la culture démocratique des pays scandinaves, la réalité n’est pas tout à fait celle d’un vaste élan citoyen qui traverserait toute la population. Elle constitue surtout un objet démocratique non identifié qui n’intéresse et ne fédère qu’une partie de la population. En Islande, terre plus conservatrice que ses cousines continentales, la réappropriation des institutions démocratiques n’est pas moins que chez nous éclipsée par les sujets économiques (croissance, emploi, pouvoir d’achat). Jusqu’au prochain coup d’éclat ?

Le Parti Pirate
A leurs débuts, les Pirates, issus de Suède puis devenus un mouvement mondial sont essentiellement portés sur les libertés numériques. Mais à partir de 2011, le parti pirate allemand commence à proposer de revoir le système politique en s’appuyant sur les mécanismes de démocratie directe et l’exigence de transparence. Il se décrit lui-même comme « une formation spontanée née de la volonté des citoyens de se réapproprier une vie politique dans laquelle ils ne se reconnaissent plus  ». Le parti pirate est à ce titre le fer-de-lance du concept de démocratie liquide (voir encadré suivant). En Islande, le parti pirate, en plus d’être la formation politique la plus déterminée du pays à faire ratifier la nouvelle constitution, a également pour sujets prioritaires la redistribution des richesses tirées de l’exploitation des ressources naturelles, la gratuité des soins, la lutte contre la corruption et l’instauration d’un revenu universel garanti.
La démocratie liquide
Lionel Cordier, doctorant en sciences politiques spécialisé dans les dynamiques politiques islandaises, décrit la démocratie liquide comme constituant « une sorte de forme élaborée de démocratie délégative et du mandat impératif, conjuguée à l’usage des nouvelles technologies. Elle consiste principalement en la possibilité de déléguer son vote, de façon permanente ou non, à des personnes que l’on estime plus compétentes et en fonction d’enjeux délimités (6).

(1) En 2011-2012, 25 citoyen-ne-s élu-e-s ont élaboré un projet constitutionnel en s’appuyant sur les recommandations de 950 citoyen-ne-s tiré-e-s au sort et sur une vaste consultation numérique.
(2) Référendum consultatif, 66 % de oui, 49 % de participation.
(3) Ils-elles sont notamment opposés à certaines des dispositions prévues dans le texte, en particulier le rééquilibrage de la représentation électorale entre zones rurales et zones urbaines (actuellement plus favorable aux premières) et la nationalisation des ressources naturelles de l’île.
(4) Katrín Oddsdóttir, dans une interview publiée par Mediapart le 8 octobre 2016.
(5) Le gouvernement formé par "Parti de l’indépendance", n’est majoritaire que d’une voix, et son partenaire centriste "Avenir radieux" est assez imprévisible.
(6) L. Cordier, Les pirates en politique, l’ascension d’un parti islandais, La Vie des Idées, 7 octobre 2016.

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