Article Femmes, hommes, etc. Nucléaire

Et 500 Bombes Atomiques se mirent à danser

Des Bombes Atomiques

Un week-end chaud et ensoleillé de la fin du mois de septembre 2019, 500 Bombes atomiques se sont rassemblé·es à Montiers-sur-Saulx, tout près de Bure, pour dire non au nucléaire et à son monde. Des centaines de femmes trans, d’hommes trans, de queers, de femmes cis1, de personnes non-binaires réunies au même endroit pour un camp et une marche en mixité choisie, et vers un avenir radieux.

Le vendredi soir, à l’ouverture du campement, quand l’équipe cuisine annonce avoir servi 250 repas, on comprend qu’il se passe quelque chose. Depuis le début de la semaine, des dizaines d’entre nous s’activent sur le lieu du campement pour monter les barnums, récupérer les tables et les bancs, décorer le lieu, coudre les guirlandes et customiser les roues de vélo, brancher les lumières, installer la cuisine et le bar, organiser les poubelles et les toilettes sèches, aller chercher les palettes, dessiner les panneaux d’accueil. Et soudain, c’en est fini de la préparation. Le rassemblement est en train de commencer. Des personnes arrivent en voiture, en camion, à vélo, à pied. Seul·e·s ou en groupe.

Des écoutant·es s’ornent la tête de serre-tête à grandes oreilles pour se mettre à la disposition de celles et ceux qui auraient besoin de parler. Les livrets d’accueil avec les détails sur l’histoire de la lutte à Bure et des poésies de femmes contre le nucléaire partent comme des petits pains. Une copine laisse des poèmes merveilleux sur les pare-brises des voitures. Tout le monde s’occupe de tout : l’autogestion en action. 

« Nous avons traversé la forêt »

Le samedi, pour la matinée d’ateliers (autodéfense féministe, autogynécologie, discussions sur l’écologie et le féminisme, atelier masques et banderoles, point sur la lutte à Bure), tout va très vite. Pas assez de temps, dans ce week-end dense, pour former les participant·e·s au système nucléaire, aux effets incommensurables de la radioactivité, à l’échec industriel de l’EPR, au déclin commercial de cette énergie partout dans le monde. Il y aurait beaucoup d’informations techniques à partager, beaucoup d’explications complexes, difficiles à transmettre ; commençons par aller sur le terrain.

L’après-midi, nous conduisons 85 voitures en file bien serrée pour nous rendre en groupe et en masse à notre lieu de rendez-vous non déclaré à la police. Heureux·se·s d’abord, d’avoir pu sortir de Montiers. Heureux·se·s ensuite, à chaque carrefour de ne pas être empêché·e·s d’avancer par un dispositif policier. Très étonné·e·s d’avoir pu arriver jusqu’au parking, point de départ de la marche. Nos visages cachés sous des masques, tout·e·s déguisé·e·s ou torses nus, nous avons déambulé entre les champs de l’Andra, le laboratoire d’État qui prépare la construction du centre d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo. Nous avons fait reculer le barrage des gendarmes en prétendant que nous voulions marcher « sur les traces de Jeanne d’Arc ». Nous avons traversé la forêt en portant une radio-chatte bleue géante à dix pattes et une grue merveilleuse. Nos banderoles disaient « Ni poubelle, ni famille nucléaires » et « Vous n’enfouirez pas nos colères féministes et antinucléaires ». Nous avons brûlé notre mammifère géant de tissus pour le rendre au monde de la nuit. Nous avons dansé autour de ce feu, nous avons rigolé et nous avons pleuré. Nous avons voulu courir, comme cette biche apparue en plein champ, devant nos danses endiablées, mais nous avons décidé de marcher. Nous sommes rentré·e·s à notre base et nous avons fêté notre victoire contre la peur et la répression. 

En rentrant, nous mangeons des repas magnifiques, rions aux éclats et frissonnons devant un spectacle sur les sorcières, faisons la surprise party jusqu’au bout de la nuit. 

L’horizontalité prend chair

Le dimanche, lendemain de la marche et de la fête, plein de monde est présent·e dès 10h pour se lancer en AG de debrief et de réflexions sur la suite à donner à ce week-end. Une grosse envie de s’exprimer se manifeste. Plein de choses importantes se disent : des personnes traumatisées par la violence de la répression à Bure expriment leur gratitude à l’assemblée, pour avoir permis une marche dans la bienveillance, certain·e·s parlent même d’un début de réparation. Des copain·e·s regrettent qu’on n’essaie pas de se réapproprier l’émeute en tant que minorités de genre. D’autres se demandent comment construire un mouvement qui ne craigne pas de s’affronter au système sans exclure celles et ceux qui subissent trop de violences dans leur vie pour supporter en plus des violences policières. Certain·e·s racontent comment elles galèrent dans leurs luttes face à des mecs dominants et appellent à l’aide.

Des questions sont posées sur les mots qui nous décrivent. Peut-on parler d’écoféminisme ou de féminisme écolo ? Comment inventer un mouvement féministe et écologique inclusif ? Comment diversifier un mouvement écologique porté par des personnes qui sont les plus privilégiées face à la crise écologique ? Qu’est-ce que ça fait du bien de pleurer sans gêne en AG. De parler sans cacher la tristesse ou la joie que l’on ressent. C’est un festival d’émotions, la parole circule, l’horizontalité prend chair.

À Montiers, ce week-end, pas de gendarme en uniforme. Pas d’arrêtés préfectoraux interdisant le transport de couteaux de cuisine ou de pelle à tarte. Pas de journaliste. Personne ne s’intéresse à nous. La police ne nous prend pas au sérieux. Les services de renseignement ne nous ignorent pas eux. Il y a bien eu des flics en civil qui nous ont filmé à plusieurs reprises pendant la préparation. Même s’il n’y a pas eu d’arrestation, il y a eu du renseignement et les répercussions judiciaires sont toujours possibles. Nous ne nous laisserons plus intimider. Mais parce que nous ne sommes pas des hommes cisgenres, nous ne représentons pas, pour eux, une menace. Ou bien est-ce cette stratégie déjà utilisée par le passé à Bure, d’invisibilisation de la lutte ?

Nous n’avons pas attaqué l’Andra, parce que c’était suffisant pour nous, ce retour sur les terres de la « zone rouge », vivre une marche sans drame pour cette fois. On se dit aussi qu’on s’en fout de ce que les flics pensent de nous, et de leurs préjugés. Ce qui compte, c’est qu’on soit si nombreux·ses et si heureux·ses d’être ensemble.

Les journalistes ne sont pas venus, eux non-plus, trop vexés sans doute de ne pas être invités en tant qu’hommes cisgenres ou peut-être les rédactions n’avaient-elles que des hommes cis à nous envoyer ?

Se sentir puissant·es en mixité choisie

S’organiser en mixité choisie, a permis de nous sentir puissantes entre personnes qui s’émancipent ensemble des assignations de genre et de la division patriarcale et classiste des tâches. C’est fondamentalement pour nous et pas contre les mecs cis que nous avons fait ce choix. Trop peu d’amis mecs cis-genre nous ont demandé comment se positionner pour être nos alliés. Il y avait plein de formes de soutiens à inventer : prêter leurs camions et leurs machines, garder nos enfants pour celles et ceux qui en ont, s’occuper du foyer pour nous faire gagner du temps dans les semaines de préparation, s’intéresser à notre action et la faire connaître, affirmer sa solidarité avec ce que nous avons accompli.

Il n’y avait pas beaucoup d’anciennes parmi les Bombes Atomiques ce week-end-là, et très peu de personnes racisées. Elles étaient massivement des blanc·hes. Cette homogénéité d’âge et de couleurs ne nous surprend pas, mais nous attriste. Les habitantes des villages alentours, paysannes et commerçantes à la retraite ou femmes au foyer depuis toujours, nous manquent aussi. Sans doute n’avons-nous pas fourni assez d’effort pour les inviter à venir nous rejoindre, pour qu’ils et elles se sentent chez eux et elles dans un rassemblement sans hommes cis genre et ouvertement antinucléaire. La prochaine fois, on tentera de mieux faire.

Bien des absent·e·s du rassemblement étaient dans nos têtes et dans nos cœurs : les personnes qui s’étaient mobilisées contre la centrale nucléaire de Plogoff, celles du campement anti militaire de Greenham Commons en Angleterre dans les années 80, les Polynésiennes et les Algériennes impactées par les essais nucléaires français, les Nigériennes qui subissent les pollutions des mines d’uranium, les précaires de la sous-traitance nucléaire mais aussi les mères de Fukushima.

Ceci est notre récit, celui d’un petit groupe de personnes. Nous en assumons la subjectivité et en reconnaissons les limites. On a hâte de lire et d’entendre ce que diront d’autres Bombes Atomiques. Toutes celles et ceux qui sont venu·e·s, s’il-vous-plaît, racontez-nous ce que vous avez vécu ! Et les autres, rejoignez-nous !

Ce fut incroyable. Beau. Émouvant. Bouleversant. Joyeux. Empuissantant. Réparateur.
Frustrant aussi. 
Aurions-nous pu faire plus ? Aller plus loin 
Ce fut peut-être, sans doute, le début d’un mouvement. 

Nous nous sommes promis que nous nous reverrions bientôt, en nous donnant d’autres rendez-vous, à Bure et ailleurs.

Des personnes qui ont participé à la préparation du week-end des Bombes Atomiques
https://bombesatomiques.noblogs.org/

Par ce texte, nous aimerions partager quelques souvenirs et réflexions, afin que l’histoire de ce rassemblement se diffuse et soit entendue. Dans l’espoir qu’il donne de la force et des paillettes d’inspiration à tou·tes celles et ceux qui subissent dans leur quartier, leur territoire ou leur village les oppressions systémiques et mortifères du capitalisme et du patriarcat.

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