Brève Chronique Dates du féminisme Femmes, hommes, etc.

16-17 novembre 1980 : Encercler le Pentagone

Isabelle Cambourakis

En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée « 100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui ». Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.

En décembre 1979, alors que la Russie envahit l’Afghanistan, l’OTAN décide d’installer sur le sol européen 572 missiles nucléaires étatsuniens. Dans ce contexte de tension due à la guerre froide, les américain-es élisent Ronald Reagan, un cow-boy de cinéma. C’est le début de la Guerre des étoiles et d’un programme technologique spatial de grande envergure.

Théâtre et guérilla féministes

Dans les milieux féministes proches des mouvements pacifistes et anti-nucléaires, des femmes décident au début de l’année 1980 d’organiser un meeting écoféministe. Le mot est nouveau, existe à peine. Il s’agit pour celles qui se retrouvent lors de ce meeting de penser les connections entre guerre, pauvreté, dévastation écologique et oppression des femmes. Contre toute attente, elles sont tout de suite 600 et décident d’organiser une action symbolique à la Maison Blanche. Grace Paley, écrivaine et activiste, rédige avec un groupe de femmes une déclaration qui servira de manifeste. Le Bread and Puppet Theater, présent depuis les années 1960 dans toutes les manifestations contre la guerre au Vietnam, fabrique pour l’occasion quatre grandes marionnettes qui vont rythmer les temps forts de l’action.
Les 16 et 17 novembre 1980, juste après l’élection de Reagan, 2000 femmes se retrouvent pour accomplir ce qu’elles appellent du théâtre-guérilla. Elles marchent, en suivant une première marionnette, celle du deuil, et vont enterrer leurs mortes au cimetière qui est proche du Pentagone, puis elles marchent derrière la marionnette de la colère aux cris de « Plus jamais de guerre » et « Enlevez les pistolets des mains des garçons ». Le moment où elles encerclent le Pentagone en chantant est le moment de la puissance, de l’empowerment. Vient enfin le dernier temps, celui de la désobéissance, et les plus aguerries aux techniques d’action directe non violente vont bloquer les portes du bâtiment ; 140 d’entre elles seront arrêtées.

« Nous avons bien raison d’avoir peur »

La « déclaration d’unité » qu’elles lisent ce jour-là semble d’une brûlante actualité : « Nous nous rassemblons au Pentagone ce 17 novembre car nous avons peur pour nos vies. Peur pour la vie de cette planète, notre Terre, et pour la vie des enfants qui sont notre avenir humain. Nous sommes venues ici pour pleurer les morts et pour hurler notre rage et pour défier le Pentagone parce qu’il est le lieu où s’opère le pouvoir impérialiste qui nous menace tous et toutes. Nous sommes entre les mains d’hommes dont le pouvoir et la richesse les ont séparés non seulement de la réalité quotidienne mais aussi de l’imagination. Nous avons bien raison d’avoir peur. (…) La peur, créée par l’industrie militaire est utilisée comme une excuse afin d’accélérer la course aux armements. ’Nous vous protégeons’, disent-ils, mais nous n’avons jamais été autant en danger... Nous les femmes, nous sommes rassemblées ici parce que vivre au bord du précipice est intolérable ».

Isabelle Cambourakis

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