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Semences en résistance

Lola Keraron

Depuis 20 ans, Longo Maï se mobilise pour la libre circulation des semences paysannes et la réappropriation des savoirs autour des semences, autant dans les instances européennes que les mains dans la terre, dans les jardins et les champs.

Longo Maï réalise à quel point la question des semences paysannes est politique en rencontrant l’association Kokopelli, au début des années 2000. En Europe, seules les semences inscrites au catalogue officiel ont alors le droit d’être commercialisées, ce qui rend illégal d’échanger des semences paysannes.
À la fin des années 2000, le Conservatoire botanique de Gatersleben, en Allemagne, mène des essais OGM, sans précautions, qui menacent de contaminer leur riche collection de variétés de céréales cultivées du monde entier. La ferme Longo Maï en Allemagne se mobilise contre ces essais en organisant une grosse manif’action en 2009, alertant sur le danger des OGM. Le conservatoire recule et suspend ses essais sur le blé. "Depuis, la ferme de Longo Maï en Allemagne a récupéré des échantillons de céréales traditionnelles du Moyen-Orient, notamment de Syrie et d’Iran, pour essayer de les reproduire et de les réintroduire dans ces pays plus tard", explique Sylvie, une habitante de Grange-Neuve.
Dans la vallée de la Bekaa au Liban, par exemple, la ferme-école Buzuruna Juzuruna (littéralement "Nos graines sont nos racines") a produit cette année "de magnifiques champs de céréales d’une quarantaine de variétés destinées à produire de la farine", se réjouit Sylvie. Cette dynamique a donné lieu à un festival des blés, farines et pains, qui a eu lieu sur place en mai 2023. Son but est de promouvoir l’usage de ces variétés anciennes, plutôt que celles importées d’Ukraine ou du Canada, qui nécessitent de nombreux intrants, engrais chimiques et produits phytosanitaires (1).

Un réseau de lutte européen sur les semences

En 2010, une nouvelle réglementation européenne prévoit de durcir la propriété intellectuelle sur les semences et de renforcer le monopole des multinationales sur les semences. "Les lois font toujours l’objet d’un énorme lobbying de la part des multinationales afin de les faire cadrer avec leurs propres intérêts, qui est de privatiser le vivant", dénonce Sylvie. Longo Maï coorganise en Autriche une rencontre de la coordination européenne Libérons la diversité ! pour défendre la libre circulation des semences paysannes (2). Elle lance également la campagne "Semer l’avenir, récolter la diversité", et organise deux grosses journées de mobilisation en avril 2011 à Bruxelles, avec une bourse aux graines internationale et une manifestation. Le parlement européen rejette finalement cette réglementation (3).
Au-delà des combats institutionnels, les actes de résistances se trouvent principalement dans la pratique quotidienne, dans les jardins et dans les champs. Depuis 15 ans, Martina et Sylvie multiplient des semences de variétés anciennes à la ferme de Grange-Neuve. Elles contribuent, avec les autres coopératives Longo Maï, à maintenir le stock de semences libres de l’association Kokopelli et organisent des bourses aux graines sur des marchés et dans des fermes à travers l’Europe.

"Ce savoir a quasiment disparu"

"Avant, c’étaient surtout les paysannes qui conservaient et prenaient soin des semences. On s’est rendu compte que ce savoir avait quasiment disparu", explique Martina, habitante de Grange-Neuve. Réalisant que ce n’était plus au niveau institutionnel qu’elle voulait agir, elle se lance avec Sylvie dans la réalisation de vidéos pédagogiques. Elles sortent en 2015 une série de 40 courts-métrages intitulée "Semences buissonnières", pour apprendre à produire de manière autonome les semences de 32 espèces de légumes. Ces films ont été traduits en pas moins de neuf langues ! Accessibles en ligne, ils circulent à travers le monde, du Liban au Sri Lanka en passant par la Colombie, semblant répondre à un réel besoin.
Longo Maï soutient aussi financièrement le Réseau des gardiennes de semences de vie, avec lequel il échange des semences et des conseils. Ce réseau réunit des paysannes colombiennes qui produisent des semences et luttent pour créer des territoires libres d’OGM. Les semences ne connaissent pas de frontières : "Même quand on ne parle pas la même langue, il suffit de sortir un sachet de graines pour que les yeux des personnes que l’on rencontre commencent à briller", témoigne Nicholas Bell, un autre habitant de Grange-Neuve.

Tribunal international contre Monsanto
D’ancien·nes habitant·es de Longo Maï ont également donné naissance au Tribunal international contre Monsanto, qui s’est déroulé à La Haye, aux Pays-Bas, en octobre 2016 dans l’objectif de créer les bases juridiques pour obliger Monsanto et les autres multinationales à prendre leurs responsabilités. "Le fait de s’exprimer avec d’autres victimes de pesticides dans d’autres pays devant de vrais juges était déjà une reconnaissance super-importante en soi, considère Cynthia, paysanne colombienne et ancienne habitante de Grange-Neuve. Cette initiative a largement contribué à inscrire le débat sur le glyphosate et les pesticides dans le débat public."
Grange-Neuve, la première coopérative
Fondée en 1973, la coopérative de Grange-Neuve, à Limans, dans les Alpes-de-Haute-Provence, est la plus ancienne coopérative Longo Maï. Aujourd’hui, environ 120 personnes de toutes générations vivent en communauté sur ce terrain de près 300 ha. Elles partagent les repas chaque jour et gèrent une caisse commune. La coopérative mène de nombreuses activités agricoles et artisanales : textile, bois, construction, agriculture, arboriculture, semences, élevage, fromagerie, meunerie et boulangerie, transformation de fruits, légumes et viande, herbes médicinales et aromatiques, ateliers mécanique et métal. Elle organise aussi des activités d’accueil, politiques et culturelles. Sur le haut d’une colline, on trouve notamment Radio Zinzine, une radio libre fondée en 1981 qui diffuse de la musique et des informations critiques, sur la santé, la forêt ou encore les luttes sociétales. Elle dispose aussi d’un village de vacances appelé "Les Magnans", qu’il est possible de louer pour un séjour, un séminaire ou des ateliers.


Contacts :
Radio Zinzine, tél : 04 92 73 10 56, radiozinzine.org
Village de vacances des Magnans, Association Longo Maï, Les Magnans, 04300 Pierrerue, tél : 04 92 75 18 86, https://lesmagnans.org

(1) Voir l’article "Une ferme-école pour l’autonomie alimentaire au Liban", Silence, no 464, février 2018, en ligne en accès libre sur revuesilence.net
(2) Longo Maï a participé à de nombreuses rencontres initiées en Europe contre des lois restreignant la diversité des variétés cultivées, avec le Réseau semences paysannes en France, Pro Specia Rare en Suisse, Arche Noah en Autriche, Dreschflegel en Allemagne, Peliti en Grèce et bien d’autres.
(3) Le Parlement européen travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau texte.

Contacts :
• Association Kokopelli, Forêt de Castagnès, route de Sabarat, 09290 Le Mas-d’Azil, tél : 05 61 67 69 87, contact@kokopelli-semences.fr, https://kokopelli-semences.fr
Coordination européenne Libérons la diversité !, Piazza Brunelleschi, 8 Scandicci, Firenze, 50018, Italie, info@liberatediversity.org, https://fr.liberatediversity.org
Red de Guardianes de Semillas de Vida (“Réseau des gardiennes de semences de vie”), info@redsemillas.org, https://redsemillas.org
La ferme-école Buzuruna Juzuruna ("Nos graines sont nos racines"), Saadnayel, Liban, tél : +961 81 075 284.
Tribunal contre Monsanto, Marnixhade 111 H, 1015 Amsterdam, Pays-Bas, info@monsanto-tribunal.org, https://fr.monsantotribunal.org

Pour aller plus loin :
• Le film "Semences buissonnières : produire ses semences". Production : Longo Maï, Forum Civique Européen, 2015, 7 h 16, disponible en DVD et sur www.diyseeds.org
• Notre dossier "Semences vivantes, graines d’autonomie", Silence, no 464, février 2018, accessible en libre accès sur www.revuesilence.net.

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