Chronique Aménagement du territoire Eau Environnement

Le marais des Échets sous le rouleau compresseur du remembrement agricole

Juliette Piketty-Moine

À partir des années 1950, l’État français impose dans les campagnes une politique de remembrement agricole. L’administration redessine les cartes foncières pour forcer la création de grandes exploitations agricoles. Les haies et les bois sont rasés, les zones humides sont asséchées. Ces destructions sont menées au nom du « progrès » agricole : les aménageurs centraux entendent remplacer les sociétés paysannes par une production agro-industrielle « moderne ».

Sur le plateau de la Dombes, au Nord de Lyon, le remembrement agricole commence seulement dans les années 1960. Le marais des Échets, à cheval sur les communes de Miribel, Tramoyes et Mionnay, constitue un milieu de vie très riche notamment pour les oiseaux. Le ministère de l’Agriculture et le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, annoncent la destruction de ces 1 100 hectares, au nom de l’« assainissement » et de la « valorisation » agricole du marais.

Marais vivant ou monoculture de maïs ?

Plusieurs agricult·rices et des associations ornithologistes se mobilisent : un « Comité de défense » se monte, dans lequel figurent entre autres, Albert Geoffray, agriculteur et maire de Tramoye et Philippe Lebreton, naturaliste, professeur à l’Université de Lyon. En 1965, la préfecture donne son accord de principe pour la création d’une zone protégée de 300 hectares. En 1970, Léon Chambaretaud, sénateur lyonnais et riche propriétaire foncier, qui a amplement profité du remembrement, et Pierre Cormorèche, de la FNSEA locale, persistent à saccager le marais pour y planter du maïs : le sénateur fait venir bulldozers et tractopelles pour couper les haies et drainer les plans d’eau.

Le premier ministre de l’Environnement, Robert Poujade, nommé en janvier 1971 réitère son soutien au défenseu·ses du marais en annonçant son intention de classer la zone. La bagarre se tourne vers les urnes municipales : Jean Cormorèche, le maire de Miribel, pro-remembrement, est battu en 1971 par les protecteurs de la nature. Pendant ce temps, le Comité de défense alerte le tribunal administratif sur les dégâts en cours. En mars 1972, le sénateur est finalement inculpé.

Une victoire aux coûts dévastateurs

Finalement, sur les 1 100 hectares concernés, 215 hectares sont préservés, dont le Parc des oiseaux, à Villars-les-Dombes. Par la suite, une autre zone de 210 hectares sera classée à proximité et un propriétaire mettra également en place une réserve privée de 23 hectares à Mionnay. Mais les marais auront tout de même été asséchés en grande partie et, dès 1973, les riverain·es subissent des inondations. Le maire de Rochetaillée-sur-Saône accuse l’asséchement sauvage du marais : ce dernier ne peut plus jouer le rôle d’éponge pour retenir l’eau lors des orages.

Il s’agit du dernier marais asséché en France : la lutte a été décisive pour comprendre l’intérêt de maintenir les zones humides. Cette lutte a aussi permis la création de la FRAPNA, l’actuelle branche Rhône-Alpes de France Nature Environnement qui, au cours des décennies qui suivirent, mena de nombreuses batailles et obtint des victoires notamment contre l’extension de stations de ski. Mais c’est une autre histoire !

Contact : FNE Ain (ex FRAPNA), 44 avenue de Jasseron, Bourg-en-Bresse, 04 74 21 38 79, ain@fne-aura.org, www.fne-aura.org/ain.

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