Dossier Droits de l’Homme Immigration

« Le droit, pour toutes et tous, d’arriver quelque part. »

Lola Keraron

« Le droit d’arriver quelque part pour toutes et tous » est au cœur du projet politique de Longo Maï. Fondé par des personnes de six nationalités différentes, le réseau international et ses nombreu·ses ami·es se mobilisent depuis des décennies pour l’accueil de réfugié·es et la défense des droits des travailleu·ses agricoles étrang·ères.

Le ciel bleu change de la grisaille lyonnaise. Le soleil tape déjà fort en ce mois de mai. Les fleurs rayonnent de mille couleurs. Une vue splendide sur les montagnes provençales et le village de Limans s’offre à nous. Les sourires et regards bienveillants sont loin de la supposée froideur des habitant·es de Longo Maï. La réputation d’une communauté renfermée sur elle-même me semble encore plus injuste. Si la vie collective et le foisonnement d’activités agricoles, artisanales, politiques et sociales sur place sont prenants, je n’ai jamais vu une telle concentration de personnes investies dans autant de luttes à travers le monde.

Évacuer et accueillir des réfugié·es d’Ukraine

Longo Maï a fait partie des premières organisations internationales à s’organiser sur le terrain dès le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, grâce à sa coopérative présente dans le pays et ses réseaux à travers toute l’Europe. Gérée habituellement par 5 à 10 personnes, cette coopérative se situe dans le village de Nijnié Sélichtché, en Transcarpatie, au sud-ouest du pays, hors de la zone touchée par les missiles, à la frontière avec la Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie.
La coopérative Longo Maï à Hosman, en Roumanie, joue un rôle-clé pour organiser de grands convois d’aide humanitaire, assurant la livraison de médicaments, de nourriture, de literies et autres produits de première nécessité. Grâce à la levée de fonds en suisse, Longo Maï achète 15 minibus pour évacuer des personnes des zones de guerre, dans l’est de l’Ukraine, et les amener dans les zones sécurisées à l’ouest du pays ou en Europe. Les deux fermes ukrainiennes se transforment rapidement en refuges, hébergeant une vingtaine de réfugié·es. Le restaurant de Nijnié devient une cantine qui nourrit gratuitement 200 personnes par jour.
Le village de 3 000 habitant·es accueille plus de 1 500 réfugié·es. Cela n’a pas été toujours facile : « Au début de la guerre, il y avait des tensions entre des réfugiée·es, majoritairement de la ville, et les habitant·es du village, se souvient Julia, une habitante de Longo Maï à Limans qui va régulièrement en Ukraine pour se former à la traction animale. On a amené 26 tonnes de semences bio de pommes de terres, issues de nos coopératives et de nos réseaux agricoles, ainsi que 3 tonnes de semences paysannes de maïs. On les a réparties dans le village en donnant un sac à des groupes mixtes composés à la fois de paysan·nes et de réfugié·es. »
En mai 2023, Longo Maï coorganise un séminaire de trois jours sur la santé mentale en contexte de guerre. Avec l’aide de la fondation allemande Medico International, iels achètent l’étage de l’ancienne mairie, afin d’en faire un refuge d’hébergement d’urgence, pour une durée maximale de 6 mois, pouvant accueillir 30 personnes. L’objectif est maintenant d’intégrer à long terme les réfugié·es qui souhaiteraient rester dans la région. Longo Maï a acheté un moulin et un four, puis formé un réfugié pour lancer une boulangerie bio afin qu’il prenne pied dans le village. Ensemble avec un groupe d’habitants, iels montent également une serre et une conserverie pour développer une agriculture vivrière et une petite activité économique.

« On devrait tous pouvoir bouger librement. »

« On s’est intéressées dès le début à la question des réfugié·es et des frontières, explique Sissel, une des fondatrices de Longo Maï, originaire de Norvège. On est des étrangers nous aussi, on est tous personnellement attachés au droit d’arriver quelque part. On devrait tous pouvoir bouger librement (1) ». Des jeunes de plusieurs nationalités européennes créent la première coopérative en Provence en juillet 1973. Le 11 septembre 1973, alors qu’un coup d’État éclate au Chili, Longo Maï et ses amis lancent une campagne d’action « places [d’hébergements] gratuites ». Plus de 3 000 réfugié·es chilien·nes ont été accueilli·es par des communes grâce à cette campagne (2).

La défense de travaill·euses étrang·ères fait également partie des combats de longue date. Une grande partie des légumes consommés en Europe en hiver est cultivée dans la province d’Almería, en Andalousie, où des serres s’étendent sur des milliers d’hectares : la sinistre « mer de plastique ». « Ici travaillent de personnes ayant traversée la Méditerranée dans des petites barques, venant du Maghreb et l’Afrique sub-saharienne. Sans papiers et sans droits, elles vivent au milieu de serres dans des abris de fortune », explique Sissel. Dans les années 1980, des habitant·es de Longo Maï rencontrent certaines d’entre elles, venues en France pour une saison de vendange. Elles font partie du Syndicat des travailleurs de la terre (SOC), qui défend les droits des travaill·euses journali·ères en Andalousie. Ce syndicat lance — entre autres — des occupations massives de latifundias, c’est-à-dire de grandes exploitations agricoles. C’est le début d’une longue amitié.

Lutter avec les travaill·euses agricoles étrang·ères

En février 2000, alors que le gouvernement espagnol lance une campagne de régularisation de personnes immigrées, des émeutes racistes éclatent à El Ejido, en Andalousie. Les exploitants de serres paniquent, sachant qu’aucun individu ne voudra y travailler s’il a le choix. Longo Maï y envoie une délégation pour enquêter sur la situation. Avec son soutien, le Soc crée une section dans la région d’Almería, ouvre des locaux syndicaux, tente d’organiser les travailleurs et de les défendre. « C’est un travail sans fin car l’immigration dite ‘irrégulière’ ne cesse pas, l’exploitation des ‘sans-papiers’ non plus et la mer de plastique continue de s’étendre », témoigne Sissel.

Longo Maï publie un rapport (3), organise des rencontres, conférences et discussions pour dénoncer l’exploitation généralisée des travaill·euses étrangères dans l’agriculture en Espagne, en France, en Italie et même dans les pays d’Europe du Nord. Le Collectif de défense des travailleur·euse·s étranger·ère·s dans l’agriculture (Codetras) naît en 2002 dans les Bouches-du-Rhône, près de la coopérative Mas de Granier. Dans ce département de grandes cultures maraîchères, le travail d’étrang·ères aux statuts précaires est, comme à Almería, primordial pour la production. Aujourd’hui, le collectif se mobilise surtout contre le statut de travaill·euses détaché·es qui se généralise dans l’agriculture (4).

Ce ne sont que quelques exemples des luttes « internationalistes » dans lesquelles Longo Maï s’est engagé et s’engage toujours. Après des décennies, voire un demi-siècle de lutte pour certaines, une chose est claire : l’énergie de révolte face à la brutalité du monde ne faiblit pas à Longo Maï.

Contacts :
Longo Maï a fondé le Forum civique européen (FCE), un réseau international de solidarité, très engagé sur les questions relatives aux migrations. Ce réseau publie notamment un journal mensuel intitulé l’Archipel : Hameau de Saint-Hippolyte, 04300 Limans, +334 92 73 05 98, https://forumcivique.org/fr
Collectif de défense des travailleur.euse.s étranger.ère.s dans l’agriculture (Codetras) : www.codetras.org
• Sindicato de obreros del campo (Syndicat des travailleurs de la terre) : https://socsatalmeria.org
Medico international  : Lindleystr. 15, D60314 Frankfurt am Main, info@medico.de www.medico.de/fr

(1) Voir Pour une écologie pirate, Fatima Ouassak, La Découverte, 2023, qui appelle le mouvement écologique à mettre l’abolition des frontières au cœur de son projet politique.
(2) En 1980, lorsque la guerre éclate au Nicaragua, le réseau lance une coopérative d’accueil de réfugié·es au Costa Rica, pays frontalier.
(3) « El Ejido. Terre de non-droit. Rapport d’une commission internationale d’enquête sur les émeutes racistes de février 2000 en Andalousie. » Forum civique européen et Comité européen de défense des réfugiés et des immigrés, 2000.
(4) Ce statut dédouane les exploitant·es agricoles de toute responsabilité et leur permet d’exploiter des travaill·euses en toute impunité — et en toute légalité. Voir l’article p.37.

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