Dossier Femmes, hommes, etc. Paix et non-violence

Contre les féminicides, les colleuses passent à l’action

Guillaume Gamblin, Martha Gilson

En France, une femme meurt tous les deux jours assassinée par son conjoint ou son ex-conjoint. Depuis le 30 août 2019, des centaines de « colleuses » se mobilisent dans tout le pays pour dénoncer les féminicides dans l’espace public.

Alors que de nombreux collectifs et associations dénonçaient l’inefficacité du Grenelle contre les violences conjugales en septembre 2019, les murs d’une cinquantaine de villes ont vu apparaître des collages contre les féminicides. Les premiers ont été réalisés à Paris, sous l’impulsion de Marguerite Stern, une activiste féministe, bientôt rejointe par 80 autres personnes dans la capitale. Les messages qu’elles écrivent en lettres géantes collées sur les murs de la ville rendent visibles les femmes mortes sous les coups de leur (ex-)conjoint. En écrivant leur nom, leur âge et les circonstances de leur meurtre, elles donnent à voir une réalité insoutenable qui reste trop souvent invisible. D’autres phrases dénoncent les mécanismes des féminicides d’une manière plus générale (« Elle le quitte. Il la tue »).

Comptage des féminicides : de quoi parle-t-on ?

Un féminicide, c’est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Ce comptage ne compte que les féminicides conjugaux et exclut les femmes trans, les travailleuses du sexe, les partenaires hors cadre conjugal, parfois les très jeunes femmes… Ce que rappellent les collectifs de colleuses partout en France, qui précisent que le comptage est mis en avant pour médiatiser les violences conjugales, mais qu’il ne saurait être question d’exclure de la communauté des femmes à défendre celles qui sont tuées dans un autre contexte que celui de la violence strictement conjugale. Les violences sont innombrables : 132 féminicides conjugaux au 12 novembre 2019, mais plus de 200 000 victimes de violences conjugales, 800 000 victimes d’insultes sexistes, 3 millions de femmes qui subissent une drague lourde dans l’espace public, 1 million de femmes harcelées, plus de 90 000 femmes victimes de violences sexuelles chaque année.

Un mode d’action percutant

À la différence d’un rassemblement ou d’une manifestation, également nécessaires, ces phrases choc, répétées de mur en mur, restent dans l’espace public, suscitant la possibilité d’une réflexion. Sans être le plus spectaculaire qui existe, ce mode d’action percutant permet de marquer au quotidien un grand nombre de personnes. Surtout, ces actions spontanées ont permis la rencontre, parfois éphémère, parfois suivie, de centaines de personnes féministes. Activistes plus aguerries et nouvelles arrivées confrontent dans la pratique leurs visions politiques, s’enrichissent et affinent leurs discours. Après plusieurs mois de mobilisations, chaque collectif développe des liens d’entraide et de solidarité spécifiques. Tous participent de cette volonté de dénoncer les conditions du maintien d’un contexte social, économique et politique qui fragilise et expose toutes les femmes aux violences.

Les collectifs de colleuses (parfois mixtes, comme à Brest) se sont multipliés dans de nombreuses villes françaises. Le 3 novembre 2019, le même message « Féminicides : état coupable, justice complice » a été collé sur les murs de 27 tribunaux (1). L’objectif était de pointer du doigt la responsabilité de l’État, de la justice et de la police dans les féminicides et d’exiger des actions de leur part. « Par son inaction, l’État est coupable. Par son inefficacité, la justice est complice. »

« Nous avons collé noir sur blanc la vérité sur leurs murs »

La police, elle, a réagi… en embarquant certaines d’entre elles pour des interrogatoires ou des gardes à vue. Les colleuses ont répondu qu’elles souhaiteraient une réactivité similaire pour protéger les femmes victimes de violence. Nous sommes ici au cœur de la stratégie de la désobéissance civile : par des actions sans violence, à visage découvert, dénonçant les violences subies, les activistes mettent les forces de l’ordre, la justice et l’État face à un dilemme : soit ils les répriment et s’exposent à l’opprobre du public pour une répression injuste, soit ils les laissent agir, ce qui est une manière de leur donner raison. « Nous déplorons n’avoir pas d’autre choix que d’entrer dans l’illégalité pour espérer nous faire entendre. Nous nous trouvons dans l’obligation de prendre la parole pour toutes celles qui ne le peuvent plus. Nous sommes révoltées de devoir crier notre colère dans toutes les rues de France pour alerter sur l’inertie des pouvoirs publics », déclarent les activistes dans un communiqué commun après les actions du 3 novembre. « Il est temps que la France honore les mortes et protège les vivantes. »


(1) Notamment à Aix-en-Provence, Angers, Annecy, Antibes, Béziers, Bordeaux, Caen, Châlons-en-Champagne, Cholet, Grenoble, Lyon, Marseille, Nantes, Nice ou encore Périgueux.

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