Article Environnement Notre-Dame-des-Landes

Eloge des zad !

Danièle Gonzalez

La Zad de Notre-Dame-Des-Landes, outre la violence physique du démantèlement, a subi et subit encore la violence symbolique des discours d’un incroyable mépris de la part de nos « élites », président en tête. D’où l’importance de reconsidérer la dimension politique des luttes pour la défense de territoires.

« Résister aux grands projets inutiles et imposés [GPII]. De Notre-Dame-des-Landes à Bure » : tel est le titre de l’ouvrage du collectif universitaire et militant Des plumes dans le goudron (1). Paru le 19 avril 2018, en pleine expulsion militarisée à NDDL, il tombe à pic pour montrer la « force transformatrice » des « luttes de territoire ». Dégustation d’un peu de sa substantifique moelle.
À partir de 2010, les « luttes de territoire » commencent à se regrouper sous la bannière de l’opposition aux GPII. Elles concernent des projets d’aménagement divers : aéroport comme à NDDL, centre de loisirs à Roybon, centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, barrage à Sivens, etc. Elles émergent dans un contexte qui se voudrait post-politique : les aménageurs, publics et privés, prétendent agir en gestionnaires rationnels de « l’intérêt général ». Et quand ils consultent les populations locales, c’est sur le choix des pots de fleurs. Dans l’espace médiatique dominant, se développe tout un discours visant à discréditer les oppositions : qui n’ont pas bien compris les enjeux pour l’avenir, sont irresponsables, ne font que défendre leurs prés carrés (le fameux NIMBY (2) ).

Une résistance éclairée

Or, tout au contraire, ces luttes réussissent à politiser le combat environnemental (chose souvent difficile) aux plans locaux et bien au-delà. Elles y parviennent en se constituant en « résistance éclairée » par quatre points forts :
- D’abord la création de nouveaux liens sociaux, entre personnes venues d’horizons très divers, voire de mondes a priori peu compatibles : populations locales, jeunesses urbaines en rupture de ban, mouvances militantes écologistes et/ou libertaires, milieux universitaires et artistiques, etc. (3) Cela ne va pas sans tensions ni conflits mais crée cependant des dynamiques inédites et puissantes qui fournissent l’énorme énergie des luttes.
- Ensuite, la constitution de nouvelles connaissances. Les militant·es, souvent profanes au début, acquièrent peu à peu une expertise sur les sujets de leurs luttes. Utilisée en contre-expertise face à celle des aménageurs, dont les failles sont mises au jour, elle dément la vision technocratique d’une population qui ne comprend pas ce qui se passe.
- Troisième point fort pour la résistance éclairée, l’attachement au lieu. Les personnes sur place développent des liens physiques, matériels mais aussi affectifs très forts avec les lieux à défendre. Ces territoires relèvent souvent de la « nature ordinaire », sans attrait spectaculaire. Mais la lutte en fait redécouvrir les richesses, les rend précieux aux yeux des populations historiques qui ne les voyaient plus, comme à ceux des nouvelles arrivées.
- Enfin, la capacité à émettre des propositions politiques. Elle découle des trois conditions précédentes. Lorsque des personnes surmontent leurs divergences pour agir en collectif, acquièrent des connaissances et s’approprient ou se ré-approprient fortement un lieu, « alors tous les ingrédients sont réunis pour que des propositions politiques émergent du collectif » (voir encadré).

Un instrument de repolitisation

La « gouvernance » prétendue neutre et porteuse de projets incontestables considère les collectifs sur les ZAD comme illégitimes, voire comme des ennemis de la démocratie, à museler ou à traiter en extrémistes criminels. Une attitude qui génère de potentielles violences. Or, à l’inverse de cette gouvernance qui dépolitise (en niant les intérêts et opinions divergentes), les territoires investis par les luttes repolitisent. À l’instar des usines autrefois, par leur dimension matérielle, ils permettent l’émergence de nouvelles consciences de « classes », ou en tout cas collectives. La vie quotidienne y devient un mode de lutte en acte, un « habiter politique ». À l’heure du tout digital et virtuel, les luttes de territoires sont incarnées, physiques, et rendent visibles des conceptions alternatives du monde.

Un mouvement social décentralisé

Leur ancrage local, loin de porter à l’égoïsme, opère au contraire, par « résonance émotionnelle », la mise en oeuvre de solidarités globales. Les personnes investies dans la défense de leur territoire développent une compréhension intime des luttes des autres et ne se satisfont plus d’un rôle passif. Les zadistes se prêtent main forte d’un lieu à l’autre, d’un pays à l’autre, les mouvements de sympathie réunissent des milliers de personnes de tout bord. Le soi-disant NIMBY est en fait un NIABY (4) : ni ici, ni ailleurs.
« Les luttes de territoires, aussi diversifiées, localisées et limitées soient-elles » sont à considérer plutôt « comme des éléments d’un mouvement social décentralisé qui prend peu à peu conscience de lui-même ». Un mouvement qui intègre, par le bas et sans oublier les marges, les combats écologiques et socio-politiques.

Une toute autre conception de l’intérêt général
Quels sont les soubassements des propositions des collectifs contre les GPII ? Des plumes dans le goudron identifie à nouveau quatre lignes, sur lesquelles les collectifs de lutte divergent radicalement des ambitions des projets d’aménagement des territoires. Ils se placent dans une perspective de post-croissance alors que les projets sont dans la fuite en avant du « toujours plus » (de transports, de tourisme, de déchets à traiter...). Ils œuvrent pour la relocalisation des activités contre les logiques de « compétitivité territoriale » dans lesquelles des villes moyennes (Toulouse ou Nantes par exemple) sont censées se battre pour rester attractives au plan mondial. Ils exigent la conservation des éco-systèmes naturels et des modes de vie, refusant les éventuelles compensations financières ou en termes d’emplois. À la technophilie galopante des promoteurs et enfouisseurs de tous poils, ils répondent enfin par une techno-critique qui met le bon sens et l’élémentaire prudence de leur côté.

Le numéro 413 de la revue Silence, « Résister aux grands projets inutiles », paru en juin 2013, est épuisé et librement téléchargeable sur notre site.

(1) Le collectif est composé de Anahita Grisoni, sociologue et urbaniste, Julien Milanesi, économiste, Jérôme Pelenc et Léa Sébastien, géographes. Leur livre est paru en avril 2018 aux éditions Textuel. Relevant de la littérature scientifique engagée, il se lit avec autant de facilité que d’intérêt.
Silence, dans son numéro de mars 2015, publiait un article de A. Grisoni : « Le mouvement Notav, terrain fertile des alternatives ? »

(2) Not in my backyard, pas dans mon jardin.

(3) La lutte contre le projet de méga-prison de Haren à Bruxelles illustre l’établissement de ces « liens sociaux improbables » : population locale, mouvements écologistes régionaux et internationaux et milieu anti-carcéral se sont découverts et rassemblés.

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