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Les syndicalistes écolo prennent la parole

Guillaume Gamblin

Silence a rassemblé des membres des syndicats SUD-Solidaires, FSU et CGT pour discuter de syndicalisme et d’écologie. L’occasion de mettre l’accent sur les perspectives de convergences au-delà des clivages souvent affichés.

Quand on veut penser les liens entre syndicalisme et écologie, « la question de la santé au travail est une porte d’entrée souvent citée, estime Anabella Rosemberg, chargée jusqu’à fin 2017 des questions climatiques à la Confédération syndicale internationale. Il y a souvent une synergie claire entre la santé des travailleu·ses et celle de la planète et du reste de la société ». Qu’il s’agisse d’amiante ou de gaz radioactif radon dans une école, syndicalistes, usage·ères et riverain·es ont généralement un intérêt commun à s’emparer de la question.
Pour Julien Rivoire, membre du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP) à Bagnolet et chargé de la campagne emplois-climat à la Fédération syndicale unitaire (FSU), le syndicalisme a bénéficié de l’émergence du mouvement climatique. Ce sont souvent des militant·es qui participent aussi aux mouvements écologistes qui tirent les syndicats vers ces thématiques.
Mais historiquement, les questions environnementales sont loin d’être nouvelles dans le monde syndical, complète Didier Aubé, animateur de la commission Écologie de Solidaires, employé à la Banque postale à Paris. Que l’on pense aux rébellions face aux machines et aux pollutions engendrées par les activités industrielles au 19e siècle. « Au cours du dernier siècle, les luttes de communautés affectées par des pollutions ont souvent reçu le soutien du mouvement syndical, dont les membres appartiennent aux mêmes communautés, ajoute Anabella Rosemberg. Ils se retrouvent ensemble contre les employeurs. »

Les participant·es à ce débat
Plusieurs syndicats n’ont pas réussi à être présents ou représentés à cette table ronde qui réunissait 11 membres de trois syndicats.
Étaient présent·es à cette table ronde qui s’est tenue le 25 janvier 2018 : Julien Rivoire pour la FSU et Ian Dufour pour la CGT, ainsi que neuf membres de la commission Écologie de Solidaires, qui avait délocalisé l’une de ses réunions à Lyon pour y participer : Suzie, Pascal, Sylvestre, Sylvie, William, Patricia, Didier, Guillaume et Maud. Anabella Rosemberg, de la Confédération syndicale internationale, nous a confié ses réflexions lors d’un entretien téléphonique.

« Ce n’est pas aux salarié·es de payer la transition écologique »

Au début du 21e siècle, le défi écologique devient plus central. La « double besogne syndicale », telle qu’affirmée dès la charte d’Amiens en 1906 (devoir de défense immédiate et quotidienne des travailleu·ses, d’une part, et de transformation sociale globale, d’autre part), se trouve aujourd’hui actualisée à travers la question de la transition écologique. « Les syndicalistes doivent à la fois défendre les droits sociaux au quotidien et agir pour mettre en oeuvre une transition écologique », estime Julien Rivoire, ce qui nécessite de penser une rupture par rapport à l’organisation actuelle du travail.
Dans certains secteurs, la tâche semble plus atteignable. « Les pratiques écologiques dans le domaine agricole sont davantage pourvoyeuses d’emploi », estime Suzie Guichard, salariée à la Confédération paysanne, adhérente à Solidaires par le Syndicat des travailleur·euse·s de la Confédération paysanne et organisations affiliées. Mais dans d’autres secteurs, la situation n’est pas la même. « On ne peut pas nier l’impact de la transition écologique sur le secteur industriel et celui du nucléaire notamment, commente Ian Dufour, qui représente l’Union départementale CGT du Rhône. Il est difficile de lutter pour la fermeture de son lieu de travail. »
« Il y a une question d’identité professionnelle », poursuit Julien Rivoire. Il n’est pas facile de voir remettre en cause à la fois sa sécurité professionnelle et personnelle, et le bien-fondé de son activité au nom de l’écologie, alors que bien souvent « on est fier de son boulot ».
Dans les secteurs les plus polluants ou émetteurs de gaz à effet de serre, suivre la transition écologique signifie perdre son emploi actuel pour, au mieux, en trouver un autre à l’issue d’un parcours de formation. Cela demande aux salarié·es un vrai effort de remise en cause de leurs compétences et de leur identité professionnelle.
La transition écologique sur un territoire demande d’anticiper la disparition d’activités et l’apparition de nouvelles, selon Anabella Rosemberg. Celle-ci insiste sur la notion de « transition juste », qui fasse converger justice sociale et environnementale.

Quand écologie ne rime pas avec social
Le passage à des activités plus vertueuses écologiquement s’accompagne parfois de régressions sociales. En Allemagne, la sortie du charbon est passée par la reconversion de nombreux emplois vers le secteur des énergies renouvelables. Mais dans ce dernier, les conventions collectives sont moins favorables aux salarié·es que dans le secteur minier. « Il est donc important que la transition ne rime pas avec détérioration des droits des salariés », souligne Julien Rivoire. La question se pose également lorsqu’on considère la situation des coursiers à vélo, hérauts d’une ère « verte » affranchie de la bagnole mais aussi nouveaux galériens précarisés du néolibéralisme triomphant.

La sécurité sociale professionnelle

« On constate que les syndicats des services publics sont très représentés dans les campagnes anglosaxonnes pour le climat, et ce n’est pas un hasard », poursuit Julien Rivoire. Les fonctionnaires ont une sécurité de l’emploi et par ailleurs ils et elles ne figurent pas dans les secteurs les plus directement « menacés » en termes d’emplois par la nécessaire transition écologique et ont donc plus de latitude pour y réfléchir sereinement. Dans certains domaines du secteur privé, on se sent davantage menacé par la transition et les reconversions d’activité.
« Le mot d’ordre ’interdiction des licenciements’ n’est pas opérant pour la transition écologique », ajoute Ian Dufour. Mais la CGT, Solidaires et la FSU sont globalement d’accord pour revendiquer aujourd’hui une forme de « sécurité sociale professionnelle ». Il s’agit de donner la garantie de droits individuels et collectifs à tou·tes les salarié·es qui ne sont pas en exercice, qu’ils et elles soient en recherche d’emploi ou en transition entre deux emplois. Il s’agirait donc par là de garantir une sécurité aux personnes, qui leur permette d’envisager plus sereinement une éventuelle reconversion écologique de leur activité (à l’inverse des politiques libérales actuelles, voir page 12).

Nouveaux droits d’intervention

Actuellement, des délégué·es du personnel participent au Comité économique et social (CES) [1], instance chargée au sein de l’entreprise de prévenir les risques dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail notamment. Les membres des trois syndicats présents se retrouvent sur l’idée d’un droit d’intervention accru des salarié·es, en lien avec des associations écologistes ou de consommat·rices, au sein du CES ou du comité d’entreprise (CE), afin de participer davantage à l’orientation des politiques de l’entreprise. Cela permettrait de « récupérer un droit d’expertise sur les dégâts écologiques et sanitaires de ce que l’on produit », estime Ian Dufour.
On rompt avec le discours libéral selon lequel les salarié·es, présenté·es comme une classe réactionnaire et rétive au nécessaire changement, devraient apprendre à « s’adapter au changement climatique ». Il s’agit au contraire d’augmenter leur pouvoir non seulement sur les conditions de la production (horaires, salaires) mais aussi sur ses finalités : qu’est-ce que l’on produit ? Pour qui ? Un syndicalisme qui se réapproprie les fins et le sens de son activité devient moteur dans la transition écologique. « Il n’est plus seulement un syndicalisme d’accompagnement », estime Ian Dufour. Mais il contribue à redessiner le visage de la société. À l’image des Fralib de Gémenos, qui ont développé une gamme bio et équitable après avoir repris leur usine de thés en autogestion.

Logiques de filières, logiques de territoires

L’autre volet de ce droit d’intervention est de faire entrer la société civile dans l’entreprise via sa participation aux CES et aux CE. « La Fondation Copernic propose de faire entrer les usage·ères, les riverain·es et les associations dans les conseils d’administration des entreprises, où ils pourraient coopérer à terme avec les syndicats », explique William Elie, qui travaille dans l’insertion à l’emploi dans l’Essonne et est syndiqué à SUD Asso.

Chaque branche et chaque métier ont leur rapport à l’écologie
Les branches syndicales rattachées aux ministères de l’Agriculture et de l’Environnement ont une plus grande sensibilité aux thématiques écologiques, estime Pascal Mery, syndiqué à SUD Rural-Territoires dans les Hautes-Alpes. Même son de cloche chez Sylvestre Soulie, qui rappelle qu’à l’Office national des forêts, où il travaille, depuis la création de cet organisme en 1964, la fibre écologique et la contestation des dérives productivistes sont présentes.
Maud Ingarao est affiliée à SUD-Recherche à Lyon. Dans sa branche, les questionnements liés à la technoscience sont assez présents car la recherche publique est de moins en moins orientée vers la recherche fondamentale et de plus en plus vers une recherche appliquée « rapidement transférable aux marchés » (OGM, nanotechnologies).
Dans certaines filières liées aux hydrocarbures ou au nucléaire, il est plus difficile d’être aux avant-postes de la transition écologique…

C’est la question de l’échelle d’action qui est ici posée. Traditionnellement, le syndicat agit à l’échelle de la production, alors que la pensée et l’action écologiques sont souvent plus pertinentes à l’échelle d’un territoire. « Le syndicalisme s’est construit sur une logique sectorielle », dit Julien Rivoire, et « il doit aujourd’hui s’ouvrir à une logique de territoire » selon Maud Ingarao, affiliée à SUD-Recherche à l’ENS de Lyon. À l’exemple des commissions municipales de lutte contre la pollution, au sein desquelles agissaient des délégués syndicaux CFDT dans les années 1970. Ou encore de la Confédération paysanne, qui professe que « trois petites fermes valent mieux qu’une grande exploitation », sortant par là d’une pure logique de production interne à l’exploitation pour se positionner du point de vue de la société.

Diminuer le temps de travail, une fausse bonne idée ?

« Libérer le travail » est la direction suivie par la plupart des syndicats aujourd’hui, à l’image de la CGT qui revendique le passage à la semaine de 32 heures et du syndicat allemand IG Metall qui propose de passer à la semaine de 28 heures au libre choix des salarié·es. Mais pas n’importe comment. « Dans le monde agricole, c’est la robotisation qui est mise en avant dans une logique capitaliste pour diminuer le temps de travail », souligne Suzie. « Diminuer le temps de travail n’est pas forcément synonyme d’écologie », renchérit Guillaume Ruquier, syndiqué à Sud Culture et employé à la Bibliothèque nationale de France. En effet, complète Patricia Millot, syndiquée à Sud Santé Sociaux et retraitée, « pour que travailler moins soit synonyme de vivre en consommant moins, il y a toute une déconstruction à faire ». Cette dernière se dit « échaudée » par les dernières réformes pour une réduction du temps de travail, qui se sont souvent traduites, dans le domaine de la santé, par de mauvaises cadences sans embauche équivalente. Pour elle, la semaine de quatre jours serait plus pertinente qu’une diminution des heures. La réduction du temps de travail a tout de même pour mérite de « dénoncer la centralité du travail dans la société », reconnaît Guillaume. Essentielle, elle doit cependant être pensée en lien avec les questions de la nature et du sens de l’activité, de l’organisation et des conditions de travail, selon Didier Aubé. Au final, cette diminution est positive « si elle se fait avec l’accord des travailleu·ses et si elle n’entrave pas leur autonomie », conclut Suzie.

Comment protéger à la fois la santé et l’emploi ?
À Montreuil, une usine sous-traitante de Safran et Airbus, surnommée l’ « usine verte », est accusée depuis dix ans par un collectif de riverain·es d’émettre des émissions toxiques dues à des produits chimiques, dans des bâtiments vétustes à proximité de nombreux établissements scolaires. « Mêlez-vous de vos affaires ! On n’est pas malades ! Et nos emplois, vous y avez pensé ? », les interpellent quelques ouvri·ères. L’union locale CGT tient une position centrée sur la défense de l’emploi et ne demande pas la fermeture de l’usine. L’union locale de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) soutien la mobilisation tandis que l’union locale Solidaires exige tout à la fois la fermeture de l’usine et le reclassement des salarié·es chez les donneurs d’ordre. Cela semble être la seule voie de sortie par le haut, à la fois écologiquement et socialement, pour ce conflit, mais rien n’est moins certain pour le moment.
(Source : « Le travail ET la santé », Dora, Alternative libertaire n° 280, février 2018, alternativelibertaire.org)

Et la décroissance ?

Encore faut-il savoir si l’on parle d’une diminution du temps de travail assortie ou non d’une diminution du salaire. On entre ici dans le vif d’une opposition traditionnellement frontale entre logique décroissante et logique syndicale classique, cette dernière étant supposée être habitée par un imaginaire productiviste et consumériste centré sur le pouvoir d’achat.
Pour résoudre ce dilemme, Julien Rivoire propose de porter la revendication de l’extension de la gratuité. En promouvant les biens communs, la gratuité des services publics et notamment celle des transports publics, qui est aussi portée par les écologistes. Ou encore via la gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage [2]. Cette proposition évite d’entrer dans la spirale de la consommation et de la destruction écologique
Ici, l’éventuelle diminution des ressources économiques, liée à celle du temps de travail, n’équivaut pas pour les salarié·es à une pénalisation ou à une perte de services, mais au contraire à un gain en services d’utilité publique, profitable à la société dans son ensemble.
La décroissance n’est-elle pas malgré tout un thème tabou chez les syndicalistes ? « C’est vrai que les ‘trente glorieuses’ ont été dominées par l’imaginaire de l’hyperconsommation, estime Didier Aubé. Aujourd’hui, on revient là-dessus. »
Le syndicalisme actuel « est le fruit de la répartition des ressources de la croissance économique », admet Julien Rivoire. Il y a donc un changement profond de logique à opérer afin de sortir de l’idée selon laquelle on peut agrandir indéfiniment le gâteau pour mieux le partager. Il est aujourd’hui vital de prendre en compte l’inscription de la production dans le monde biophysique et les limites de celui-ci. Cependant, le chargé de la campagne emplois-climat à la FSU préfère parler d’une « société plus sobre » que de décroissance. Ce dernier terme pose selon lui des difficultés : il renverrait dans les imaginaires à un retour en arrière, alors qu’il s’agit d’alimenter le désir d’une bifurcation.
Une autre convergence possible entre certaines approches syndicales et le mouvement écologiste et décroissant est la critique de la technologie. Le numérique se déploie selon des « logiques anti-écologiques » dans de nombreux métiers, estime Guillaume. Critiquer ouvertement ces évolutions, c’est aller « à rebours d’une idéologie moderniste et progressiste ». Pourtant, estime Julien, il est possible de justifier une critique des idéologies du modernisme et du progrès, en mettant en lumière le fait que celles-ci ne profitent en réalité qu’à une minorité. Or, écologistes comme syndicalistes défendent « un mieux-vivre pour tout le monde ».

À Notre-Dame-des-Landes, la CGT choisit l’écologie
Le Collectif national des syndicats CGT du Groupe Vinci a salué l’abandon du projet d’aéroport en parlant de « victoire contre Vinci et son monde ». "Pour nous, syndicalistes CGT de Vinci, cette victoire consolide notre volonté de défendre nos convictions et de travailler sur des projets dont nous puissions être fiers, pour leur utilité sociale et sociétale. La ’modernisation’ de Nantes-Atlantique doit maintenant retenir notre attention, car l’exploitation d’un aéroport par une société à but lucratif, c’est la domination du calcul économique sur toute autre considération : des économies sur le bien-être et la sécurité des salarié·es comme des usagèr·es, la concurrence entre les plateformes et la croissance sans fin du trafic aérien, au détriment de la planète et des riverain·es.
De Strasbourg (GCO – Grand Contournement Ouest) à Saint-Etienne (A45) en passant par Marseille (carrière antique de la Corderie), nous dénonçons le peu de cas que font Vinci et ses commanditaires des terres agricoles, de notre environnement et de notre patrimoine historique ou naturel. L’investissement opportuniste de Vinci dans certaines technologies ’vertes’ ne saurait non plus masquer son attachement stratégique aux industries fossiles, qu’il s’agisse d’acheminer les hydrocarbures canadiens ou d’encourager les trafics routiers et aériens... pour mieux les taxer".

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Notes

[1Anciennement Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

[2Par exemple, les premiers mètres cubes d’eau nécessaires pour vivre sont gratuits, mais le prix augmente à mesure qu’on en consomme. Voir par exemple Paul Ariès, Le Mésusage –essai sur l’hypercapitalisme (Parangon, 2007).

[3Anciennement Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

[4Par exemple, les premiers mètres cubes d’eau nécessaires pour vivre sont gratuits, mais le prix augmente à mesure qu’on en consomme. Voir par exemple Paul Ariès, Le Mésusage –essai sur l’hypercapitalisme (Parangon, 2007).

[5Anciennement Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

[6Par exemple, les premiers mètres cubes d’eau nécessaires pour vivre sont gratuits, mais le prix augmente à mesure qu’on en consomme. Voir par exemple Paul Ariès, Le Mésusage –essai sur l’hypercapitalisme (Parangon, 2007).