Dossier Emploi Société Travail

Campagne pour un million d’emplois climatiques : construire la convergence

Julien Rivoire

La crise climatique, et plus globalement environnementale, remet en cause notre écosystème et modifie déjà les conditions de vie sur notre planète. Pour limiter le réchauffement, nos modèles de production doivent immédiatement s’engager dans un processus de transition radicale.

L’occasion de tout changer paraphraser Naomi Klein. L’occasion de créer des centaines de milliers d’emplois, dans des secteurs plus intensifs en travail et moins en capital, dans les secteurs nécessaires à la transition écologique et énergétique, à la rénovation des bâtiments, dans l’agriculture paysanne, mais aussi dans l’éducation, la culture… pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux.
L’occasion de s’affronter à la crise sociale qui taraude nos sociétés depuis des décennies maintenant : un chômage de masse, avec les conséquences sociales et économiques pour les chômeurs évidemment, mais au-delà, pour toute notre société : pression à la précarité pour tou·tes, chantage au chômage pour les salarié·es en poste, attaques contre nos systèmes de protection sociale au prétexte de défendre l’emploi via la « compétitivité du coût du travail », etc.

Refuser la déconnexion des enjeux sociaux et environnementaux

Refuser la déconnexion des enjeux sociaux et environnementaux doit être la perspective pour le mouvement syndical de transformation sociale. Il s’agit de construire un horizon désirable pour les salarié·es : une société répondant au défi des crises environnementale, climatique et sociale. Sans prétendre résoudre l’ensemble de ces enjeux, la campagne « Un million d’emplois pour le climat » se veut une déclinaison concrète de cette stratégie. En janvier 2017, la plateforme française « emplois-climat » a ainsi publié un premier rapport afin de mettre en débat cette revendication de création d’un million d’emplois en France. Celui-ci démontre que l’articulation de la nécessaire transition écologique peut se concilier harmonieusement avec les impératifs de justice sociale, si la volonté politique est mobilisée. Mais nos analyses et propositions, aussi justes soient-elles, ne s’imposeront pas d’elles-mêmes sans un mouvement citoyen suffisamment puissant pour en définir les conditions. L’intérêt de notre campagne « Un million d’emplois pour le climat » va donc bien au-delà de la diffusion de rapports, d’analyses et de travaux d’expertise existants.

S’inspirer des « interdictions vertes » ?
En Australie, durant les années 1970, des syndicats regroupés au sein de la Fédération des travailleurs du bâtiment australien décrétèrent des « interdictions vertes » (« green bans ») dans trois directions : la défense de terrains vierges contre toute forme de développement, la protection du bâti résidentiel existant contre la démolition, afin d’empêcher la construction de gratte-ciels ou d’infrastructures autoroutières inutiles, et la préservation des bâtiments patrimoniaux contre leur remplacement par des tours de bureaux ou des centres commerciaux. Ce mouvement syndical refusa de travailler sur des chantiers écologiquement destructeurs et plaida l’égalité des femmes au travail. L’un des dirigeants de ce mouvement déclarait alors : « Je considère que l’intervention de la classe ouvrière dans la crise écologique est décisive. »
(Extrait de Mourir au travail ? Plutôt crever !, Didier Harpagès, Le Passager clandestin, 2017)

Elle a vocation à faire converger suffisamment de forces pour exiger que les multinationales et les banques « rendent l’argent » nécessaire au financement des emplois et des investissements indispensables, construire un mouvement social suffisamment puissant pour s’attaquer aux intérêts des industries polluantes et imposer au gouvernement une réorientation politique. Ainsi, notre campagne peut devenir un des maillons qui nous manquent depuis tant d’années afin de construire un réel mouvement pour la justice climatique.

Construire une alliance entre réseaux écologistes et syndicaux ne va pas de soi

Construire une alliance entre réseaux écologistes et syndicaux ne va, en effet, pas de soi. Le syndicalisme a une histoire qui l’a conduit à insister davantage sur la répartition des « fruits de la croissance », à peser sur la répartition capital/ travail sans toujours interroger la nature de cette croissance. C’était particulièrement vrai au temps du « compromis fordiste », et cette tendance peut se retrouver dans des revendications syndicales actuelles, marquées par une approche très keynésienne, basée sur des politiques de relance de l’investissement sans conditionner ces exigences sociales aux préoccupations écologiques.
L’engagement de syndicats lors des dernières COP, la constitution de réseaux syndicaux internationaux se concentrant sur les enjeux de transition énergétique, ou la multiplication, dans divers pays, de campagnes « One Million Climate Jobs » est toutefois le signe encourageant que les lignes bougent. Tout comme l’est la prise en compte, par les mouvements et organisations écologistes, des questions d’emplois et de reconversion des salarié·es. Car les mouvements écologistes ont également leur responsabilité d’un rendez-vous trop longtemps manqué en participant, pour certains d’entre eux, à la dépolitisation des luttes contre le changement climatique, en embrassant la rhétorique des écogestes, en abandonnant trop souvent la perspective d’un changement de paradigme, et en méprisant parfois la prise en compte des intérêts immédiats des travailleurs, des salarié·es, au prétexte de la supériorité des enjeux environnementaux pour l’humanité.
Or il n’y aura pas de transition juste si celle-ci laisse de côté les travailleuses et travailleurs des industries fortement émettrices de CO2 ou des centrales nucléaires. Entre la création de nombreux emplois promise par l’émergence des secteurs de la transition et la disparition des centaines de milliers d’autres au sein des secteurs
fortement émetteurs de CO2, que se passe-t-il pour les salarié·es ?

Pour un véritable « statut de vie sociale et professionnelle »

La question de la reconversion sociale des secteurs concernés par la transition est un enjeu fondamental des transformations à opérer. Les salarié·es ne peuvent être mis devant le fait accompli. Un objectif de « zéro chômeur climatique » implique l’anticipation des restructurations pour que la transition écologique ne laisse personne, si ce n’est les actionnaires, au bord de la route. Au-delà des créations d’emploi, c’est donc la question de nouvelles protections pour les salarié·es qui se pose. Une protection collective implique de ne pas s’engager dans les dispositifs d’inspiration sociale libérale où le droit serait attaché à la personne, dont la traduction récente est le compte personnalisé d’activité (CPA). Ce droit présente la particularité juridique d’être directement attaché au travailleur et non pas à l’emploi ou au statut de salarié. Il vise en fait à « équiper les individus » en « capital professionnel » face à un marché du travail. Le salarié, une fois doté de son « capital professionnel », se retrouve seul sur le marché du travail ; et il est renvoyé à sa propre responsabilité, le cas échéant, quand il ne réussit pas à retrouver un emploi.
Au contraire, nous pouvons nous inspirer des propositions existantes de Solidaires, de la CGT ou de la FSU d’une véritable « sécurité sociale professionnelle » ou d’un « statut du salarié », les noms important peu tant les principes sont proches. Le principe de continuité du salaire et des droits sociaux s’oppose à la notion sociale libérale de droits individuels transférables. C’est l’ensemble des droits dépendant de sa qualification qui sont maintenus. Le ou la salarié·e devrait recevoir le salaire correspondant à cette qualification, qu’il ou elle soit en situation d’emploi immédiatement productif, en formation, ou en recherche d’emploi. La création d’un fonds national interprofessionnel et mutualisé assurerait le financement de ce « statut de vie sociale et professionnelle » et serait financé par les cotisations sociales, nécessitant une nouvelle répartition des richesses.

Engager une dynamique de transition écologique

Créer un million d’emplois pour le climat ne résoudra pas un chômage et une précarité qui, en France, touchent neuf millions de personnes. Une telle mesure devrait s’accompagner d’une réduction massive du temps de travail et de nouvelles garanties collectives pour lutter contre la précarité. Mais elle permettrait, à coup sûr, d’engager la dynamique de la transition écologique et s’avérerait utile pour travailler vers la convergence.
Potentiellement, c’est une campagne ambitieuse qui pose des questions remettant en cause notre système de production et de consommation : qui décide de produire et quoi produire ? Le « marché », ou les travailleurs et les citoyens ? Comment produire ? Comment financer la transition et qui paye ? Tout le monde ou les pollueurs et exploiteurs ?
Cette campagne peut permettre de poser ces questions en partant de problèmes immédiats et concrets : il s’agit de défendre les intérêts immédiats des salarié·es tout en dessinant les contours d’un projet de société alternatif, d’autres mondes possibles.

Pour aller plus loin
■■ emplois-climat.fr
■■ « Le travail contre nature ? Syndicats et environnement », revue Mouvements n° 80, novembre 2014, La découverte, mouvements.info
■■ « Syndicats et transition écologique », dossier de la revue Ecologie et politique, n° 50, 2015/1, Presses de Sciences Po, www.ecologie-et-politique.info
■■ LIP – l’imagination au pouvoir, film documentaire de Christian Rouaud, 2007, Pierre Grise distribution
■■ Prochain arrêt : Utopia, film documentaire d’Apostolos Karakasis, 2018, Grèce, Les Films des deux rives distribution. A Thessalonique, les membres de la coopérative de travailleurs de l’usine occupée Vio.Me décident de réorienter leur production en fabriquant des produits naturels.

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