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La ferme urbaine où les jeunes en rupture reprennent leur vie en main

Lorène Lavocat

L’association Les Fermiers de la Francilienne accueille des jeunes gens condamnés à des travaux d’intérêt général. À la ferme P13, à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, ils n’apprennent pas le métier d’agriculteur mais se « remobilisent » au contact de la terre et des animaux.

Derrière les grilles ceinturant la friche, deux chèvres trottinent dans la gadoue. Plus loin, quelques poules se dandinent autour d’une vache qui broute paisiblement près d’une caravane. Comme si de rien n’était. « La campagne au milieu de la cité ! » rigole Dylan. Bienvenue à la ferme P13, 5 hectares de pâturage en plein coeur des quartiers populaires.
Ce matin de novembre, une petite dizaine de jeunes emmitouflés se pressent autour d’un tableau, café à la main et cigarette au bec. Sourire énergique et ton enthousiaste, Éloïse Guidotty répartit les missions de la matinée. Cette agroécologue de formation remplit ici le rôle de chef d’exploitation. « Nous accueillons principalement des jeunes en rupture scolaire ou condamnés en justice, explique Julien Boucher, coordinateur de l’association Les Fermiers de la Francilienne, qui gère le site. Plutôt que d’aller en prison, ils viennent effectuer avec nous leur travail d’intérêt général [TIG]. »
« La tendance actuelle, c’est de remplir les prisons, dénonce Julien Boucher, alias ’Juju le fermier’. Mais tous ces jeunes peuvent aussi participer à recréer de la richesse et du lien dans leurs quartiers ! »

« La richesse de ce qu’on vit ici, ce sont les relations »

Une bruyante tablée s’organise sous un barnum. Les « tigistes » se mêlent aux jeunes en service civique ou venus faire du bénévolat.
« Dès mon premier jour ici, je me suis senti bien, en famille », sourit Vincent [son prénom a été changé], ancien tigiste devenu bénévole. « La richesse de ce qu’on vit ici, ce sont les relations : on rencontre des gens qu’on n’aurait jamais fréquentés sinon », enchérit Dylan, revenu après son TIG en service civique.
À l’autre bout de la table, trois jeunes somnolent. Tous ne sont pas aussi emballés par le travail à la ferme et viennent ici en traînant des pieds. « Je n’aime pas trop venir ici, mais c’est mieux que la prison », admet l’un d’eux. Le travail d’intérêt général peut en effet remplacer une peine de prison, ou constituer une mise à l’épreuve dans le cadre d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Certains viennent pour une vingtaine d’heures, d’autres restent plusieurs mois. Leurs horaires sont contrôlés, et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) inspecte régulièrement la ferme.
Les revenus de l’association proviennent principalement du Fonds social européen, et de l’accueil pédagogique. Chaque semaine, la ferme reçoit des classes, des centres de loisirs et même des camps scouts.
« Cet endroit, c’est une bulle », lance Dylan. Lui est arrivé ici « parce qu’il avait fait des conneries ». Après des années d’école « compliquées » et plusieurs mois à la rue, il trouve à la ferme P13 de la bienveillance et de la tranquillité. Lui qui se disait « archi maladroit » se passionne pour l’écoconstruction.
Si la ferme de la Butte-Pinson fait désormais partie intégrante de la vie du quartier, avec ses troupeaux de chèvres et ses guinguettes, la ferme P13 reste encore enclavée entre l’université et les barres d’immeubles. L’association espère y ouvrir un café-restaurant solidaire l’an prochain.

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